Un décor qui n’est pas le mien
Tout est bien rangé. La lectrice d’Adrienne Von Poetting n’est pas de celles qui empilent ou qui lisent plusieurs livres à la fois.
Et à regarder ce décor, je ne peux penser qu’à Carl, ce vieil ami dont j’ai perdu la trace. Carl vivait alors dans un appartement où tout était impeccable. Jamais une tasse dans l’évier, jamais un journal sur la table à café, le lit toujours fait, les serviettes bien pliées. Sa mère pouvait venir le visiter n’importe comment : le fils avait retenu sa leçon. Elle pouvait être fière de lui.
Mais il s’ennuyait dans son appartement bien astiqué. Et comme il habitait à un paté de maisons, il débarquait pour un oui ou pour un non. Pour une bière ou un café. Mais surtout pour être dans un lieu qui lui paraissait habité. Il le disait tout haut. Il aimait mes piles. Il aimait qu’il y ait des livres partout. Il aimait que ça sente la vie. Et rien n’a changé depuis cette anecdote qui remonte à vingt ans. Les piles sont toujours là et je ne me fatigue pas à plier les serviettes bien comme il faut chaque fois que je les utilise. Si je le revoyais, il me reconnaîtrait dans cette façon d’être en vie, c’est-à-dire éparpillée et ramasseuse.
Carl a-t-il fini par habiter un lieu, à y laisser sa trace ou a-t-il continué de vivre dans son décor où rien ne retrousse ? Ou sommes-nous déjà à 20 ans ce que nous serons toujours ?