J’aurais voulu une fois, une seule fois, ne pas arriver les mains vides. Ne pas attirer sur moi leurs regards pleins de pitié pour celle qui n’était pas comme les autres, mes cousins, leurs cousins et cousines, ma propre sœur, tous accompagnés.
La veille de l’affrontement annuel, je souhaitais que la fièvre me tombe dessus, que le verglas ou une tempête de neige ou une combinaison des trois nous empêche de prendre la route. Pour éviter qu’on me rappelle que je faisais partie des laissées pour compte qu’on examine de près pour saisir ce qui peut bien clocher pour qu’il en soit ainsi. Mais rien ne nous a jamais retenu à la maison. Le jour de l’an chez mon oncle était chose sacrée, même s’il fallait pour cela affronter le blizzard.
Et pendant dix ans, je n’ai attendu qu’un seul moment, tentant de me faire petite, pour ne pas voir toutes ces paires heureuses autour de moi. Un seul moment. Celui où j’ouvrirais mes cadeaux. Des livres que mon oncle aurait choisis pour moi et dans lesquels je pourrais me réfugier alors que les autres feraient la fête.
Un jour de l’été 1986, la mort a fauché mon oncle sur une route de campagne. Il n’y aurait plus de jour de l’An où on me regarderait avec compassion. Plus de Premier de l’an non plus où il viendrait s’asseoir avec moi et parler livres et voyages.
*toile de Louis Dilts