C’est quand j’entre dans une pièce nue, sans toile au mur, sans livres sur des rayons ou éparpillés sur des tables, que je sens un malaise en moi, non pas quand je me retrouve dans un bureau comme celui du lecteur de Sarah Yuster.
Tout de suite, j’ai envie de m’asseoir là. Tout de suite, j’ai envie de prendre un livre au hasard, de voir ce qu’il lit. D’emblée, cet homme me fait bonne impression. Il me rappelle Émile. Il me rappelle Émile et nos conversations au milieu des livres qui couvraient tous les murs du plancher au plafond dans son bureau de professeur à l’université. Émile dont je pouvais pousser la porte n’importe quand. J’arrivais parfois avec un livre sous le bras et une fois sur trois je découvrais qu’il l’avait lu ou qu’il faisait partie de ses prochaines lectures, puisque le même livre était là, quelque part sur le bureau.
Je me sentais bien dans ce bureau avec cet homme qui aimait les livres. Si bien que je pouvais parler de tout ce que j’avais en tête. Et je n’étais pas la seule à le faire. Émile me parlait de sa vie à Rome autrefois, de ses enfants, de théâtre, de Paris. Jamais il n’y a eu autre chose que de l’affection entre nous, même si je crois que ça a fait jaser dans les corridors. Je n’en avais rien à faire et lui non plus. Il y aura toujours des gens pour médire et on n’y peut rien.
Plus de vingt ans ont passé depuis ces moments privilégiés entre nous. Je n’ai jamais croisé Émile depuis que j’ai quitté l’université. Il est peut-être encore entouré de livres, non plus à l’université mais chez lui. Et peut-être a-t-il dans sa vie une petite-fille ou un petit-fils qui vient s’asseoir avec lui pour écouter ses histoires et lui raconter les siennes, comme je le faisais. Je le lui souhaite.