Seul le fado sait faire taire le vent qui ne peut que s’incliner devant une telle intensité, une telle émotion. Ce fado, si bien raconté sur du bleu dans mes nuages il y a quelques semaines, le fado d’Amalia Rodrigues, plus particulièrement, dont on peut lire une biographie et écouter quelques extraits ici. Cette Amalia dont je possède la discographie complète grâce à un ami et que je découvre peu à peu jour de grand vent ou de soleil. Parce qu’il n’y a pas d’heure ni de saison pour le fado. Il n’y a que la réponse en soi à l’appel de la nostalgie qui survient pour mille et une raisons ou pour aucune.
Et de toutes les chanteuses de fado, elle demeurera malgré toutes celles qui ont suivi ses pas, la plus grande. Car sans elle, le fado ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Il n’aurait pas cette renommée internationale et demeurait cantonné – peut-être – à quelques salles connus des seuls Lisboètes nostalgiques.
Elle a chanté les poètes. Elle a chanté les classiques. Elle a chanté ses propres textes. L’éditeur Hubert Nyssen a réuni quelques-uns de ceux-ci dans un florilège bilingue intitulé Le Fado d’Amalia.
J’ai retenu de José Régio celui-ci :
Fado portugais
Le fado est né un jour
Quand le vent soufflait à peine
Et le ciel sortait de mer,
Sur le pont d’un voilier,
Dans le cœur d’un marin
Qui était triste et qui chantait.
Ah! quelle beauté plus immense,
Terre où je marche, ma montagne et ma vallée
Parmi feuilles, fleurs et fruits d’or,
Vois si tu vois les terres d’Espagne,
Les sables du Portugal,
Dans un regard aveuglé de pleurs.
Dans la bouche d’un matin
Sur ce fragile bateau à voiles
Le chant de douleur se meurt,
Dans la blessure du désir,
La lèvre brûlée de baisers
Qui embrasse le vent et rien de plus.
Adieu ma mère, adieu Marie,
Garde bien au fond de toi
La promesse que je te fais
De te mener jusqu’à la sacristie,
À moins qu’à Dieu ne plaise
De me donner la mer pour sépulture.
Mais voilà qu’un autre jour
Quand le vent soufflait à peine
Et le ciel sortait de terre,
À la proue d’un autre voilier
Se tenait un autre marin
Qui était triste et qui chantait.
Ah! quelle beauté plus immense,
Terre où je marche, ma montagne et ma vallée
Parmi feuilles, fleurs et fruits d’or,
Vois si tu vois les terres d’Espagne,
Les sables du Portugal,
Dans un regard aveuglé de pleurs.
Et d’Amalia elle-même :
Fados au fond de moi
Je porte en moi des fados,
Des tristesses dans le cœur.
Je traîne mes rêves perdus
À travers des nuits de solitude.
Je souffre en moi
Les vers et les notes
D’une grande symphonie jouée
Dans tous les tons de la tristesse
Et de l’agonie.
Je porte en moi
Des nuits de clair de lune,
Des plaines jonchées de fleurs,
Je porte le ciel et la mer,
Et des douleurs plus grandes encore.
Je porte en moi
Des amertumes mélangées,
Une lucidité et une faiblesse :
Je garde les yeux secs,
Bien qu’ils ne cessent de pleurer
Depuis que je suis enfant.
Et j’écoute sa voix. Et le vent ne souffle plus : il l’écoute lui aussi.