J’ai eu peur d’être déçue. Il en est ainsi quand on ouvre un livre écrit par quelqu’un qui a marqué notre vie. J’ai eu peur aussi que le fait d’avoir côtoyé de près l’auteure pendant des années-charnières de ma vie m’empêche de lire ce roman avec détachement.
Mais c’est autre chose qui est arrivé. C’est la voix de Denise Dufour-Clément qui m’a accompagnée dans ma lecture. Cette voix chantante, vive, énergique, cette voix que je n’ai jamais oubliée. Parce que de tous les enseignants qui ont croisé ma vie, elle est celle dont je me souviendrai toujours. Pour tout ce qu’elle m’a appris, mais surtout pour toutes ces conversations « à part », dans la classe, dans le corridor, dans son bureau et ces autres fois où la vie nous a remis en présence l’une de l’autre puisque les deux années où j’ai animé un atelier d’orthographe destiné aux élèves du secondaire, je le faisais dans « sa » classe.
Et avant de d’ouvrir Flora Martin, j’ai d’abord ouvert le livre de mes souvenirs. Retrouvé les corridors du Collège Marguerite-Bourgeoys de mes 17 et 18 ans. Puis, je suis entrée dans la classe de Denise. Je me suis assise au premier banc, là où je m’asseyais toujours pour ne rien rater de ce qu’elle allait nous raconter avec une passion que j’ai rarement trouvée ailleurs. Et une vague de souvenirs m’a emportée, loin, très loin. À elle seule je parlais des livres que je lisais, à elle seule je faisais voir mes poèmes. Et le jour où je lui ai annoncé que j’allais faire des études littéraires plutôt que scientifiques elle m’a embrassée. Elle avait compris depuis longtemps que c’était là ma voie.
Elle a terminé sa carrière de professeur de français au Collège Regina Assumpta que j’ai fréquenté pendant cinq ans et qui restera à jamais mon alma mater. C’est là que nos vies se sont à nouveau croisées. Je ne sais pas qui des deux a été la plus fière quand venait l’heure où elle me cédait son pupitre. Je sais juste qu’elle m’inspirait et que je n’ai jamais réussi à être autre chose que ce qu’elle avait été et qu’elle m’avait enseigné. Livrer la matière tout en prenant le temps d’écouter, de raconter.
Si bien que quand j’ai vu que Saint-Alexis-de-Matépédia était au cœur du roman de Denise, j’ai souri. Souri d’un sourire qui ne se décrit pas. Les histoires de son enfance qu’elles avaient partagées avec ses élèves ou en privé étaient toutes là. Intactes. Et dès les premières pages, la voix de Denise m’a raconté Flora, sa grand-mère. C’est sa voix que j’entendais et rien d’autre.
Et pendant plus de 200 pages, je me suis laissée emporter par celle-ci, par cette histoire d’une femme qui, à la fin du XIXe siècle, ne voulait pas vivre comme les femmes de sa génération le faisaient et qui n’avait que le mot « liberté » en tête. Une femme qui aimait les livres, les mots, la vie, les histoires et les légendes, si bien que le roman est parsemé de ces détails de la petite et de la grande Histoire du Québec aussi bien que d’extraits de poèmes, de Longfellow et d’Octave Crémazie, notamment.
Oui, j’ai eu peur d’être déçue. Il en est ainsi quand on ouvre le premier livre d’une auteure de 75 ans qui a marqué notre vie. Mais c’est tout le contraire qui s’est passé. J’ai été sous le charme dès la première page et je me suis mise à rêver… Et si Denise nous offrait la suite des aventures de sa grand-mère?