Oui, la vie est compliquée
Ne me dites pas que la vie est facile. Pas en ce moment. Pas depuis la fin mai. Pas depuis la chute de ma mère dans l’escalier. Pas depuis le premier samedi de juillet, alors que mon père a quitté la maison en ambulance.
Tous deux sont hospitalisés, ma mère dans un hôpital de réhabilitation, mon père dans un autre hôpital en raison de multiples infections. Tous deux y ont attrapé la Covid. Mon père me l’a transmise. Aucun de nous trois ne l’a encore.
Mais mes parents ne retourneront jamais dans leut maison, celle où ils ont vécu 62 ans et où ils ont élevé leurs filles. Ce lieu rempli de souvenirs, d’objets rapportés de voyages, de tableaux achetés au fil des ans. Cet endroit que j’entretiens quotidiennement, où je vivrai peut-être dans quelque temps.
La vie est si compliquée. Je me lève très tôt pour passer un peu de temps avec moi-même, m’occuper de mes courriels et de mes cartes postales. Pour lire un peu, si c’est possible. Pour écouter de la musique.
Puis, je passe de mon ordinateur personnel à celui du bureau. Le but est de terminer ma journée peu avant 16 heures. Après, je passe chez mes parents. Je vérifie s’il y a du courrier ou des messages sur le répondeur. Je m’occupe du déshumidificateur et de la piscine. Et il y a encore quelques jours, je me baignais pendant une demi-heure. Depuis, il n’a pas fait assez chaud pour que je m’accorde ce plaisir. Et hier, nouveau problème : le moteur ne fonctionne plus. Comme si je n’en avais pas assez sur les bras… Celui qui s’occupe de la piscine devrait passer en début de semaine. Je vais donc pouvoir penser à autre chose.
Pas à autre chose, en fait. À mon père. Emprisonné à nouveau dans la confusion depuis mardi, alors qu’il allait tellement bien lundi, et ceci, probablement à la suite des infections contre lesquelles il s’est battu et celle des os des pieds qui n’est toujours pas guérie.
Il est si difficile de le voir ainsi, allongé, incapable de s’asseoir ou de se lever, encore moins de marcher, dans l’impossibilité de communiquer tant la réalité lui échappe. Tant ses cauchemars ont pris de la place. Tant ceux-ci semblent sa nouvelle réalité.
Je voudrais lui dire que tout va bien, que je lis dans la cour, au bord de la piscine, qu’il est en bonne voie de guérir, qu’il rentrera bientôt à la maison. Je ne dis rien. Je lave ses lunettes quand c’est possible. Il se rase les bons jours, qui semblent bien rares en ce moment. On parle un peu. De moins en moins. Il dort plus que jamais.
Ma vie risque de se compliquer encore plus. Mais heureusement que nous sommes deux et que Monique s’occupe de notre mère. Je n’y arriverais pas seule. Pour le moment, je veux rêver que la situation sera différente, et que mon père sera conscient et lui-même quand j’irai le voir tout à l’heure. J’aimerais tant que mes parents puissent se voir et se parler grâce à nos téléphones cellulaires.
Souhaitez-le aussi.
*illustration de Jeff Östberg