
J’ai levé la tête et abandonné mon livre quelques minutes. T. venait d’entrer et à défaut d’une vie qu’elle n’a pas, allait nous en inventer une comme elle le fait chaque fois. Une vie résolument rocambolesque où tous les malheurs pleuvaient sur sa tête. Il y avait évidemment à chacune de ses « prestations » de nouveaux détails qui ne concordaient pas avec l’histoire mijotée la fois précédente. Mais peu importe, elle fonçait et la plupart ne connaissaient pas les histoires de T.
C’était sa manière à elle de vivre, d’attirer la sympathie, voire même parfois la compassion. Pauvre T. Et elle en rajoutait pour que ça fasse plus vrai sans se rendre qu’elle finissait par s’emmêler dans ses pinceaux. Les dates ne concordaient plus, les renseignements complémentaires pour expliquer ne tenaient pas debout. Mais peu importe, elle avait un public et elle allait se donner en spectacle, et peut-être même verser quelques larmes sur son pauvre sort, comme dans les reality shows.
T. n’a pas de vie. T. ne fait rien. Elle passe ses journées assise à une table où son prétendant du moment est cuisinier. C’est probablement là, en feuilletant des magazines, qu’elle prend ses idées. Dommage qu’elle ait si peu de mémoire et qu’elle ne se rappelle pas ce qu’elle a raconté la fois précédente. On pourrait presque la croire, avec ses talents de tragédienne.
Et quand elle est partie, Mimi et moi nous sommes regardées. T. avait fait son show. Mimi pouvait retourner à ses ciseaux et moi à mon livre. Nous, nous avions une vie.
*sur une toile de Joan Gillespie