Figées
Elles sont au sol, traces de vie qui ne sont plus que traces et rien d’autre. Figées à tout jamais avant qu’octobre ne se termine. Figées à tout jamais dans cette lumière qui avait des airs de printemps.
Elles sont au sol, traces de vie qui ne sont plus que traces et rien d’autre. Figées à tout jamais avant qu’octobre ne se termine. Figées à tout jamais dans cette lumière qui avait des airs de printemps.
Elle se demande comment elle a pu traverser toutes les guerres, comment elle a pu assister à des naissances et réconforter les mourants. Elle ne sait pas. Ou alors est-elle morte tant de fois déjà que la vraie mort l’a épargnée. Morte ce jour où le seul homme qui l’a aimée a disparu, morte ce jour où sa maison a brûlé, morte ce jour d’hiver où on l’a trouvée gelée sur un banc, morte cet autre jour d’automne pour une raison qu’elle a oubliée.
Non, elle ne sait pas. La lectrice d’Abraham Van Dyck sait juste que le glas finira par sonner pour elle. Elle l’entend déjà au loin venir jusqu’à elle.
Si je n’avais pas Denis ou Armando pour guider mes pas dans la longue traversée musicale que je fais à leurs côtés, tant de voix, tant de notes manqueraient à ma vie. Tant d’émotion, aussi. Et me manquerait la magnifique voix de Sirima dont j’ignorais l’existence jusqu’à il y a encore quelques jours. Il a fallu Armando pour me raconter son histoire, pour me faire acheter son CD hors commerce, pour réaliser à quel point cette chanteuse allait me bouleverser, tout autant que son histoire. Je sais, je sais. Certains diront que cette histoire a fait la manchette. Mais c’est sans compter sur une Lali dans une bulle depuis tellement d’années qu’elle est passée à côté de beaucoup d’événements. Si vous la connaissez, écoutez-la à nouveau, la voix de Sirima touche jusqu’aux entrailles. Si vous ne la connaissez pas, je vous laisse le bonheur de la découvrir vous aussi… et plus particulièrement la chanson I need to know.
La peinture vient de l’endroit où les mots ne peuvent plus s’exprimer.[Gao Xingjian]
Et c’est peut-être pourquoi elle me touche tant. Pourquoi elle ne cesse de me toucher et d’appeler mes mots. Même si l’artiste Édith Gorren, qui a peint avec tendresse cette lectrice rêveuse, voit dans mon projet fou d’offrir des toiles à mon écriture et à la vôtre, ce que je n’avais jamais vu moi-même.
C’est donc avec son autorisation que je publie quelques phrases qu’elle m’a écrites. Des phrases qui me touchent :
Lali, Lalique, toute lumière, beauté et transparence.
Quel travail ! Quelle poésie, quel souffle !
Vous êtes en train de fabriquer ce qui manque à l’art contemporain figuratif, un écrin de pérennité, un musée bien au delà du virtuel. C’est ce qui m’a frappée en premier lieu parce que c’est un peu mon cheval de bataille, ma désespérance de la manière dont le mot « contemporain » a été dévié du côté de la « tendance ».
…
Outre votre grand talent littéraire allié à un goût du beau, votre principal secret est, à mon avis, votre sens de la gratuité des objectifs et de l’altruisme, notion aussi obsolète que le visage humain en peinture à l’heure actuelle. Votre site est une œuvre véritable que vous partagez à cœur ouvert. C’est pourquoi vous avez autant de visiteurs. C’est un lieu où ils peuvent respirer autre chose que la société marchande qui les étouffe.…
Ceci pour vous dire que le bonheur et le drame s’exaltent, je n’ai jamais su « peindre triste », seulement chercher à exprimer la profondeur du drame humain par le regard et l’espoir par la beauté et les couleurs. Moi aussi je pense que celui qui regarde un tableau n’a pas à craindre la culture comme un juge suprême, mais s’il veut appréhender l’œuvre dans sa plénitude, il faut qu’il aille plus loin que le stade du joli, c’est ce que votre poésie porte en elle et leur suggère.
Je n’ai jamais eu ce besoin qu’on cautionne ou qu’on valide ce que je fais ou ne fais pas. Mais j’avoue : de tels mots me donnent le souffle qui me manque certains soirs où les toiles restent muettes. Quelqu’une, quelque part, a saisi le sens de cet ambitieux projet d’une galerie dédiée à la lecture, l’écriture et la correspondance, sens sur lequel je ne m’étais jamais arrêtée, toute à mon bonheur d’écrire. Qui ne cessera jamais. Car il me tient en vie.
Jean-Marc était à Royan hier. De sa chambre d’hôtel, il regardait la mer. Celle au bout de laquelle habite son amie Lali. Et il a rêvé un peu de ce jour qui les réunirait Cath, Jody, lui et moi. Et j’ai envie de croire que ce sera dans quelques mois. J’ai vraiment envie d’y croire.
Un autre jour se lève. Encore un autre. Certains matins, elle se demande pourquoi il y en a encore un. Parce que quelqu’un trouvera bien une façon de la blesser ou de la pointer du doigt. Comme chaque jour. Or, elle ne peut être qu’elle, pas celle qu’on voudrait qu’elle soit.
Un autre jour se lève. Encore un autre. Mais la lectrice d’Angelo Asti sait pourquoi il est là : les pages d’un livre l’attendent.