Les mots de Francis D. 11
Nous sommes si souvent les mots que nous lisons bien longtemps après d’avoir fermé le livre, bien longtemps après que tous les mots se soient envolés. Ou qu’on les croit envolés. Jusqu’à ce qu’ils nous revienent. Comme reviennent à la mémoire ceux de Francis Dannemark que la lectrice de Jack Abeillé avait lus il y a quelque temps déjà et qui sont revenus au hasard d’un livre qui l’attendait.
Je ne me souviens de rien, et pourtant
Je ne me souviens de rien, et pourtant
je n’ai rien oublié, tout est noté,
l’or des jours et la poussière. Mais l’écran de la mémoire
ne gagne pas à être ouvert trop souvent.
Je me souviens de presque rien mais
c’étaient des jours formidables, des courses sans fin,
j’aurais volé la mer, la Grande Ourse,
et l’âme des marisn pour que jamais,
jamais tu ne sois loin. Et maintenant que
les étoiles sont tombées dans la mer,
les marins sont des marchands et, au loin,
les nuages s’usent à recopier ton visage.
Celui qui n’a pas vévu ça n’a rien vécu,
qu’il écrive ses philosophies à l’encre d’or
ne changera rien, ne lui apportera rien.
Moi, je n’avais pas d’idées,
je voulais ce pont vers l’éternité
de tes jambes ouvertes.
Pour le dire autrement, belle amie,
je voulais ta peau, ta compagnie et mes mains
sur tes seins comme des fins du monde, comme
des guépards apprivoisés, comme des paradis.
Je voulais tes rires quand les tables
se renversaient, quand l’eau des baignoires
était déluge. À minuit dans la ville,
tu te collais à moi et la voiture n’était qu’un
bond vers une autre nuit dans une autre ville.
Je te voulais nue toujours, et habillée
et couchée, et debout dans la première
lumière du jour, et je te voulais avec
des cris et l’obscurité, avec les jeux
des chasseurs et des enfanst sauvages.
Et maintenant que tu vis où je ne vis pas,
maintenant qu’on donne aux étoiles des noms différents
et que d’autres passagères ont mêlé au tien
leur parfum et à mes lèvres leurs lèvres douces,
je ne me souviens de rien – et pourtant…