
Marie-Josèphe les avait déjà quittées, trop tôt. Comme ces frères et sœurs qui ne vieilliront jamais puisque partis enfants et dont plus personne aujourd’hui ne sait le nombre exact, et encore moins les prénoms.
Adrienne dormait dans son berceau dans l’autre pièce. Viendrait le jour où elle partirait elle aussi, comme leurs cinq frères le feraient avant elle, tandis qu’elles quatre resteraient là, à tenir le bureau du poste, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que deux.
Savaient-elles déjà qu’elles feraient partie de ces « trésors non réclamés », comme se désigne elle-même ma cousine Anne? Ou alors les filles du notaire rêvaient-elles comme toutes les jeunes filles de celui qui les aimerait pour toujours?
On raconte pourtant que l’aînée aurait vécu un grand amour auquel elle serait restée fidèle toute sa vie. Un pasteur anglican que son père n’aurait pas voulu qu’elle épouse, parce qu’une jeune fille catholique de bonne famille n’épouse pas un anglican. En tout cas, pas sa fille à lui, dans ce début du XXe siècle.
Plus personne ne sait vraiment jusqu’à quel point cette histoire est véridique. Mais elle fait partie de la légende familiale. Et au fond, je crois que tous nous aimons bien cette idée que Germaine n’ait jamais voulu remplacer celui que l’époque lui avait refusé.
Mais les autres? Berthe? Irène? Gabrielle? Ont-elles eu des prétendants ou pas? Les ont-elles volontairement écartés pour rester entre elles? Pour que Germaine qui n’aurait pas d’autre amour ne se trouve pas abandonnée?
Nul ne le sait, nul ne le saura peut-être jamais.
Ce dimanche-là, Gabrielle s’est peut-être assise au piano, Berthe a peut-être frotté les cordes du violon dont j’ai hérité, Irène fait du thé, Germaine peint cette assiette que m’a donnée Adrienne il y a longtemps. Ce dimanche-là, mes grands-tantes rêvaient encore.
*toile d’Albert Lynch