Je ne les ai jamais comptés. Les rayons étaient pleins, ça débordait de partout, et j’étais comme un poisson dans l’eau, sachant la plupart du temps où le moindre livre était rangé.
Et puis l’ordinateur avec son inventaire en continu les comptait pour moi. Entrées et sorties. Inventaire et en processus de retour. Alors, pourquoi les aurais-je comptés? J’étais libraire, pas comptable.
Pourtant, un jour, quelqu’un m’a posé la question. Vous avez combien de livres ici? Je préférais les titres tordus, les auteurs aux noms massacrés, les descriptions de couvertures. Et les anecdotes. Mais combien?
Non, décidément je ne savais pas. La colle du jour était vraiment une colle. Et à quoi bon savoir qu’il y avait 20 000 titres en inventaire, dites-moi?
Je savais où ils étaient, c’est tout ce qui comptait.
C’est parce que je voudrais écrire dans une lettre ouverte aux lecteurs que dans une librairie qui compte pourtant X nombre de titres, il n’y a pas celui que je cherche depuis 20 ans.
-Mais si vous me disiez de quel titre il s’agit…
-Je vous dis que je le cherche depuis 20 ans…
-Mais encore… Si vous me disiez?
Il a murmuré le titre du bout des lèvres. Un titre qu’il avait bien déformé. Si bien déformé qu’il avait cherché pendant 20 ans un titre qui n’existait pas et que je lui ai tendu avec un large sourire.
*toile de Gretchen Butler