Lali

10 juin 2008

Les vers de Sophia 12

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 23:59

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Elle savait. Ou plutôt, elle sentait. La lectrice de Jean-Jacques Henner pressentait avec une assurance quasi inébranlable l’effet que les mots de Sophia de Mello Breyner auraient sur elle. Parce qu’elle avait lu ceux que d’autres avant elle avaient laissés ici. Oui, elle savait, elle sentait, elle pressentait. Tout cela. Même avant de lire ces mots :

Ô poésie – je t’ai tant demandé!
Terre de personne, celle où j’habite.
Je ne sais plus qui je suis – moi qui survécus
Quand le roi fut tué et le royaume partagé.

Ils auraient voulu que le temps s’arrête

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 22:58

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Ils auraient voulu que le temps s’arrête. À cette minute, exactement. Qu’ils soient à jamais et pour toujours dans ce bonheur retenu par l’artiste d’origine hongroise Bernard Karfiol. Mais les minutes ont continué à tourner. Et même si cet instant toujours leur manquera, quand ils en parlent, ils se disent qu’ils l’ont vécu. Qu’ils ont eu cette chance unique de le vivre. Intensément. Et que jamais on ne pourra retirer de leurs souvenirs ce moment heureux.

Il ne sert à rien d’imaginer demain

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 21:52

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Quand certains soirs le vent souffle, qu’il fait une lourdeur tropicale, que là-bas au loin le ciel s’éclaire et qu’il s’agite bruyamment, la lectrice de Jeongik O n’arrive à ouvrir aucun livre. Elle écoute l’orage. Elle y lit des présages. Elle joue avec les nuages. Elle pense à ces endroits où elle ne vivra jamais, à tous ces livres qu’elle n’aura pas le temps de lire, au temps qui passe.

Et le ciel se zèbre à nouveau et efface tous les présages. Il ne sert à rien d’imaginer demain ou après-demain.

Ce qui est né une nuit d’été

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 20:56

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Le livre est resté ouvert et les roses ont séché dans le pot où il les avaient disposés avec amour. Traces de lui, dans le décor de Brian Ballard, traces de lui pour que fleurisse chaque jour ce qui est né une nuit d’été. Parce que la vie avait rendez-vous avec eux.

Porte ouverte sur un jardin

Filed under: Vos traces — Lali @ 8:01

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Une porte ouverte sur un jardin. On dirait une invitation, non? Pour en savoir plus, il faudra suivre Denise, c’est elle la photographe et la guide au pays des jardins. Tu nous racontes un peu, chère amie?

Anton

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 7:35

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Anton était arrivé tard dans la vie de Charlotte. À l’âge où on n’attend plus de tels cadeaux de la vie. À l’âge où on s’est fait une raison. Où on se dit que le temps est passé.

Tard. Trop tard pour porter leurs enfants, elle qui n’en avait jamais voulu avec quiconque. Mais qui, à cinquante ans, réalisait qu’elle aurait aimé en avoir. Avec lui.

Tard. Si tard. Mais pas trop tard. Pas trop tard pour qu’à deux ils créent quelque chose qui s’apparentait à une forme de progéniture.

Anton avait toute sa vie traduit des textes du russe à l’anglais. Et griffonné ici et là quelques billets. Souvent en russe, mais aussi en français. Une langue qu’il disait ne pas maîtriser à son goût, mais qui la ravissait, elle, avec des tournures bien à lui, des mots inventés, des images vivantes et savoureuses. Bien sûr qu’il s’égarait dans les virgules et le pluriel. Et puis, était-ce si important? Elle les arrangeait, privilège de première lectrice.

Et les livres avaient défilé au fil de vingt ans de vie commune. Parfois salués avec éclat. D’autres fois passant inaperçus. Et les livres étaient venus à eux, comme viennent des enfants. Dans l’amour. Dans la complicité. Dans la joie de les voir grandir.

Et chaque fois qu’il doutait, il prenait tous ses livres, les carnets barbouillés de sa calligraphie stylisée et même les plumes qu’il collectionnait pour les ranger dans le bas d’une armoire. Et chaque fois qu’il faisait ce geste, elle restait là, impuissante. Tout ce qu’ils avaient en dehors de leur amour c’était ça. Des mots. Des mots qu’il punissait, comme on aurait puni des enfants en les enfermant dans leur chambre.

Puis, il ouvrait l’armoire, comme on glisse la tête à l’intérieur de la chambre de l’enfant. Et il se remettait à jouer avec les mots comme il aurait fait une partie d’échecs avec son fils aîné.

Mais chaque fois qu’il faisait ce geste, elle tremblait. Et si cette fois, il n’ouvrait plus jamais le bas de l’armoire? Et si cette fois, il ne regardait plus les oiseaux pour décrire leur vol? Et si cette fois, il s’enfermait avec ses doutes parce que d’autres écrivaient, selon ses dires, mieux que lui, alors qu’il écrivait tout simplement autrement? De sa manière à lui. La seule qu’il connaisse. La seule qu’elle lui connaisse.

Et si cette fois, il ne laissait plus les mots aller jusqu’à lui puis à elle? S’il freinait ce désir et cette sève qui jaillisssait de lui? Et elle tremblait, là, tout au fond de la pièce.

Elle qui n’avait pu lui donner d’enfant autre que des virgules ou des majuscules, elle dont on n’avait jamais caressé le ventre arrondi par l’amour, était fière de ces enfants bien rangés sur un rayon de la bibliothèque. Les leurs.

Mais si les livres ne retrouvaient plus l’endroit où ils s’agglutinaient côte à côte depuis vingt ans?

Elle se dira que tout a été vain pour que le père rejette ainsi ses enfants. Leurs enfants. Les seuls qu’ils auront jamais. Et elle posera la main sur ce ventre qui sera plus stérile que jamais.

*sur une toile de Mabel Hill

Le mot glissé au fond du tiroir

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 6:46

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Et puis, un matin, elle ne se réveilla pas. Elle en avait fini avec son parcours inutile et stérile. Où elle a fait ce qu’on a attendu d’elle. Où elle a été jour après jour fidèle aux règles établies. Un parcours qui l’avait rendue muette et appliquée. Une vie où elle ne dérangeait plus personne.

Bien sûr qu’elle avait tout raté. Elle le savait. Depuis longtemps. Depuis longtemps avant le jour du grand sommeil qu’elle attendait depuis longtemps.

***

Quelqu’un s’asseoira à sa place, ouvrira ses tiroirs. Et celle qui sera assise là trouvera peut-être le mot que la lectrice de Vladimir Vasicek a glissé au fond d’un de ceux-ci. Nul n’est irremplaçable. Je ne dois jamais l’oublier.