Lali

24 juillet 2008

J’parl’ pour parler disait Jean Narrache

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 23:59

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La lectrice de Bela Czobel ne pouvait pas savoir. Il aurait fallu pour ça que je lui dise qu’Émile Coderre dit Jean Narrache fait partie de ma culture familiale, que mon grand-père l’a bien connu, qu’ils partageaient la même profession et que son recueil n’était jamais bien loin. Non, elle ne pouvait pas savoir. Mais je suis heureuse qu’elle ait choisi ces quelques lignes.

J’parl’ pour parler

J’parl’ pour parler…, ça, je l’sais bien.
Mêm’ si j’vous cassais les oreilles,
La vie rest’ra toujours pareille
Pour tous ceux que c’est un’ vie d’chien.

J’parl’ pour parler pas rien qu’pour moi,
Mais pour tous les gars d’la misère;
C’est la majorité su’ terre.
J’prends pour eux autr’s, c’est ben mon droit.

J’parl’ pour parler…, j’parl’ comm’ les gueux,
Dans l’espoir que l’bruit d’mes paroles
Nous engourdisse et nous r’console…
Quand on souffre, on s’soign’ comme on peut.

J’parl’ pour parler…, ça chang’ra rien!
Vu qu’on est pauvre, on est des crasses
Aux saints yeux des Champions d’la Race :
Faut d’l’argent pour être « homm’ de bien ».

J’parl’ pour parler…, j’parl’ franc et cru,
Parc’ que moi, j’parl’ pas pour rien dire
Comm’ ceux qui parl’nt pour s’faire élire…
S’ils parlaient franc, ils s’raient battus!

J’parl’ pour parler… Si j’me permets
De dir’ tout haut c’que ben d’autr’s pensent,
C’est ma manièr’ d’prendr’ leur défense :
J’parl’ pour tous ceux qui parl’nt jamais!

J’parl’ pour parler… Si, à la fin,
On m’fourre en prison pour libelle,
Ça mes vieux, ça s’ra un’ nouvelle!
L’pays f’rait vivre un écrivain!

3 commentaires »

  1. Respect pour ce poète montréalais, qui à écrit le magnifique « En rôdant dans l’parc Lafontaine »…

    En rôdant dans l’parc Lafontaine
    À soir, j’suis v’nu tirer un’ touche
    dans l’parc Lafontain’, pour prendr’ l’air
    à l’heure ousque l’soleil se couche
    derrièr’ la ch’minée d’chez Joubert.

    Ici, on peut rêver tranquille
    d’vant l’étang, les fleurs pis l’gazon.
    C’est si beau qu’on s’croit loin d’la ville
    ousqu’on étouff’ dans nos maisons.

    Les soirs d’été, c’est l’coin d’ombrage
    pour v’nir prendr’ la fraîch’ pis s’promener,
    après qu’on a sué su’ l’ouvrage,
    qu’l’eau nous pissait au bout du nez.

    Faut voir les gens d’la class’ moyenne,
    c’-t’à dir’ d’la class’ qu’à pas l’moyen,
    tous les soirs que l’bon Yieu amène,
    arriver icit’ à pleins ch’mins.

    Les v’là qui vienn’nt, les pèr’s, les mères,
    les amoureux pis les enfants
    dans l’z’allées d’érabl’s-à-giguère
    qui tournaill’nt tout autour d’l’étang.

    Ça vient chercher un peu d’verdure,
    un peu d’air frais, un peu d’été,
    un peu d’oubli qu’ la vie est dure,
    un peu d’musique, un peu d’gaîté !

    Les jeun’s, les vieux, les pauvr’s, les riches,
    chacun promèn’ son cœur, à soir.
    Y’en a mêm’, tout seuls, qui pleurnichent
    su’l’banc ousqu’i’ sont v’nus s’asseoir…

    Par là-bas, au pied des gros saules,
    v’là un couple assis au ras l’eau ;
    la fill’ frôl’ sa têt’ su’ l’épaule
    d’son cavalier qu’est aux oiseaux.

    À l’ombre des tall’s d’aubépines,
    d’autr’s amoureux vienn’nt s’fair’ l’amour.
    Vous savez ben d’quoi qu’i’ jaspinent :
    Y s’promett’nt de s’aimer toujours.

    Y sav’nt pas c’te chos’ surprenante,
    qu’l’amour éternel, c’est, des fois,
    comm’ l’ondulation permanente :
    c’est rar’ quand ça dur’ plus qu’un mois.

    Pour le moment, leur vie est belle ;
    y jas’nt en mangeant tous les deux
    des patat’s frit’s dans d’la chandelle,
    en se r’gardant dans l’blanc des yeux.

    Deux mots d’amour, des patat’s frites !
    Y sont heureux, c’est l’paradis !
    Ah ! la jeuness’, ça pass’ si vite,
    pis c’est pas gai quand c’est parti !

    …D’autr’s pass’nt en poussant su’ l’carosse ;
    c’est des mariés d’l’été dernier.
    Ça porte encor leu ling’ de noces,
    qu’ça déjà un p’tit à soigner…

    Par là-bas, y’en a qui défilent
    devant le monument d’Dollard
    qu’est mort en s’battant pour la ville.
    …D’nos jours, on s’bar pour des dollars…

    Tandis que j’pass’ su’ l’pont rustique
    fait avec des arbr’s en ciment,
    l’orchestr’ dans l’kiosque à musique
    s’lanc’ dans : « Poète et Paysan ».

    Oh ! la musiqu’, c’est un mystère !
    On dirait qu’ça sait nous parler…
    on s’sent comme heureux d’nos misères ;
    ça parl’ si doux qu’on veut pleurer…

    D’autr’s s’en vont voir les bêt’s sauvages,
    (deux poul’s, un coq pis trois faisans.) —
    Y s’arrêt’nt surtout d’vant les cages
    des sing’s qui s’berc’nt en grimaçant.

    Y paraîtrait qu’des savants prouvent
    qu’l’homme est un sing’ perfectionné.
    Mais, p’t’êtr’ ben qu’les sing’s, eux autr’s, trouvent
    qu’l’homme est un sing’ qu’a mal tourné.

    …Les yeux grands comm’ des piastr’s françaises,
    la bouche ouverte et l’nez au vent,
    Y’a un lot d’gens qui r’garde à l’aise
    la fontain’ lumineus’ d’l’étang.

    C’est comme un grand arbr’ de lumière,
    ça monte en l’air en dorant l’soir.
    C’est couleur d’or, d’rose et d’chimère :
    ça r’tomb’ d’un coup, comm’ nos espoirs.

    Ah ! c’est ben comm’ les espérances
    qu’la vie nous fourr’ toujours dans l’cœur !
    Ça mont’, ça r’tomb’ pis ça r’commence :
    dans l’fond, ça chang’ rien qu’de couleur.

    Comment by Armando — 25 juillet 2008 @ 4:31

  2. Que de bons souvenirs: La classe moyenne et le parc Lafontaine…
    C’est toute ma jeunesse en flashback!
    Merci de ramener Jean Narrache, il savait mettre les choses à leur place, les gens et les sentiments aussi;-)

    Comment by Flairjoy — 25 juillet 2008 @ 6:45

  3. « Parc’ que moi, j’parl’ pas pour rien dire
    Comm’ ceux qui parl’nt pour s’faire élire…
    S’ils parlaient franc, ils s’raient battus! »

    Et oui ! Et ce ne serait pas dommage… Tant de beaux parleurs et si peu de vrais « acteurs »…

    Comment by agnès — 25 juillet 2008 @ 7:12

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