Lali

2 mars 2025

En vos mots 932

Filed under: Couleurs et textures,En vos mots — Lali @ 8:00

La lectrice peinte par Arthur Ignatius Keller serait-elle en train de faire de la place pour de nouveaux livres? À moins qu’elle ne se prépare à prêter quelques romans à son amie? À vous de nous dire ce que cette scène évoque pour vous. Nous nous réjouissons déjà de vous lire.

Comme aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain, vous avez amplement le temps d’écrire quelques lignes d’ici là, et même de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier.

Suite dans sept jours!

2 commentaires »

  1. – Tu n’as pas le droit de le lire, celui-là. Mais je te laisse le regarder à l’aise, tu n’en diras rien à personne, comme d’habitude. Il me plaît au plus haut point de détourner la mission que l’on m’a confiée, consistant à diriger tes lectures et à t’en interdire certaines. Cela me ravit on ne peut mieux d’inverser au contraire le cours des choses prévues pour soi-disant préserver les jeunes filles, et ce faisant les abrutir, les museler, les maintenir dans l’ignorance et l’obéissance, et leur cacher les réalités du monde en usant d’un inqualifiable abus de pouvoir.

    – Merci chère tante! Combien d’ouvrages intéressants ai-je pu déjà découvrir grâce à toi! Des oeuvres contre lesquelles en principe tu devais me mettre en garde ou que tu devais me cacher. Je t’en suis de la plus profonde reconnaissance!
    – Il est de mon plus grand plaisir, chère nièce, de contrevenir à cette tâche que tes parents m’ont attribuée. Ils ne connaissent pas mon côté rebelle, que j’ai toujours bien caché afin qu’on me laisse tranquille et que je puisse investiguer à mon aise sans en être empêchée. Ils ont beau te donner une éducation favorisant la culture et les langues, ils ne souhaitent pas que tu t’écartes de ce qui est pour eux le droit chemin.

    – Mais comment as-tu eu connaissance de tous ces écrits tellement audacieux chère tante?

    – J’avais moi-même une cousine chargée de me chaperonner. Au lieu de me fermer l’esprit comme il le lui était demandé, elle en a favorisé l’ouverture, en me recommandant bien comme je le fais avec toi de ne pas être trop bavarde sur mes découvertes. Afin de pouvoir, comme elle le faisait elle-même, transmettre en toute quiétude ce précieux acquis aux filles et futures femmes d’une cascade de générations. Elle tenait elle-même son savoir d’une jeune tante secrètement émancipée.

    – Nous avons beaucoup de chance de cette solidarité féminine transmise dans notre famille. Mais je pense que nous devrions cesser un jour d’accepter ce rôle d’éternelles oies blanches et de femmes passives ne se livrant qu’à des occupations innocentes. J’ai envie d’écrire moi-même des livres, et de rédiger des articles pour les journaux. Tout cela doit changer, et vite. Les femmes n’ont été que trop longtemps maintenues dans des rôles subalternes. Et d’abord, je vais refuser ce mariage arrangé par mes parents, alors que je n’ai que dix-sept ans. Je veux choisir qui j’épouserai, et quand.

    – Tu as raison, ma chère Alexandra. Je sens en toi pointer l’audace que je n’ai pas eue, ni ma cousine, ni sa tante, ni aucun femme avant toi. J’entends avec jubilation au travers de tes paroles le résultat de cette éducation passée sous le manteau pendant plusieurs décennies. Je n’ai hélas pas eu ton courage ni ton élan d’innovation. Mais tu peux compter sur mon aide. Toujours je te soutiendrai, et je sens que tu feras de grandes choses.

    (Inspiré librement par la vie d’Alexandra Kollontaï à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2025)

    Comment by Anémone — 8 mars 2025 @ 19:15

  2. Les dimanches, on allait chez le père de mon père, comme d’autres vont à la messe.

    Le père de mon père m’aimait si peu que je ne me souviens pas avoir eu droit à un quelconque mot bienveillant de sa part. Il m’arrive encore d’entendre son dédain : « Je ne veux pas que tu touches aux jouets de ton frère, sinon… », en me pointant d’un doigt agressivement inquisiteur.
    Son fils, mon père, le regardait me menacer sans jamais murmurer un mot pour prendre ma défense.

    Mon frère, lui, se promenait avec ses voitures de bois en couleurs, en faisant des grands vroum-vroum-vroum amusés sous mon nez. Heureux que je ne puisse pas y toucher.

    Et mes dimanches étaient ainsi. Sans jouets. Silencieux. Humilié. Dans une presque solitude.

    J’avoue que je n’ai jamais aimé le père de mon père. J’ai si peu aimé mon père. Et je ne me souviens pas d’avoir aimé mon frère.

    Pourtant, malgré ces sentiments très peu louables qu’encore aujourd’hui je n’arrive pas à effacer de ma mémoire, il me reste quelques souvenirs d’un grand bonheur.

    Après le repas, alors que le trio d’abrutis écoutait religieusement le match du jour à la radio, seul, ignoré dans un coin, j’assistais au grand déballage littéraire des deux sœurs de mon père, Louise et Alice. Les seules personnes qui avaient pour moi des regards compatissants, doublés d’une affection retenue.

    Il me revient qu’Alice lisait : « L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe. » Madame Bovary, disait Louise. Pas du tout. C’est Flaubert, répondait Alice amusée. Puis, « C’est une folie d’haïr toutes les roses parce qu’une épine vous à piqué. » Et j’entendais, comme un éclat joyeux Saint-Exupéry… et ainsi de suite. Sans qu’aucune ne s’épuise de ce drôle de jeu.

    On aurait dit deux doux nuages flottant au-dessus d’un monde qui ne leur appartenait pas. Leur ciel était peuplé de mots. De poètes. D’écrivains tourmentés. D’auteurs romantiques et passionnés. Et elles semblaient heureuses. Tellement loin de la laideur des sentiments du père de mon père, de mon père et de l’autre fils de mon père, celui qui avait des voitures de bois en couleurs, que je ne pouvais pas toucher.

    Il m’arrive de penser à ces dimanches de mon enfance et d’avoir besoin d’ouvrir un bouquin, les yeux fermés, au hasard, et de me perdre dans le chemin hasardeux de quelques lignes, en pensant à Alice et Louise, et me dire, que « Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a une phrase écrite qui nous redonnera le goût de vivre. » Et les entendre me répondre Georges Perros…

    Comment by Armando — 8 mars 2025 @ 23:15

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