Dès que je franchis le seul de mon appartement, j’entre dans ma bulle. Il y a là tout ce dont j’ai besoin : mes livres, ma musique, du café, du thé, mon ordinateur, les toiles que je cueille ici et là. Et des fenêtres dans toutes les pièces.
Oui, bien sûr il y a des livres partout, des piles dont l’équilibre est parfois précaire. Et mon manteau est souvent sur le sofa plutôt que suspendu. Et de plus, je vous épargne les détails concernant mon désordre organisé, ils n’appartiennent qu’à moi.
Or, il y a deux jours, j’ai eu la visite des concierges. Ça faisait quatre jours que je n’avais pas d’eau dans la cuisine, les tuyaux avaient gelé. Si bien gelé que dans notre immeuble et dans d’autres autour, ceux-ci avaient cédé. De telle sorte qu’il a fallu des soudures ici et là et vérifier qu’elles soient assez solides avant de faire le traitement choc. José, le vétéran, supervisait les choses avec les plus jeunes quand est arrivé en moins de temps qu’il ne faut pour grimper du premier au deuxième un de mes voisins. Et même, il était chez moi, dans ma cuisine, comme s’il était le propriétaire venu surveiller ses hommes.
D’ailleurs, il ne s’est pas gêné pour émettre son opinion, raconter que ci et que ça, et patati et patata, à propos des tuyaux. Les pieds bien fixés au sol et les yeux rivés sur ceux qui devaient le contourner tellement il était une nuisance.
À dire vrai, j’étais médusée. Monsieur J. ne fait pas partie de mes intimes, je ne l’ai jamais invité pour un café de bon voisinage et il n’avait jamais été dans mes intentions de le faire. Mais il était là et son haleine aux relents d’alcool empestait toute la pièce. Si bien que c’est avec soulagement que j’ai vu les concierges ramasser leur matériel pour se rendre chez ma voisine d’en bas en espérant qu’en chauffant les tuyaux de sa cuisine ça réglerait mon problème d’eau. Du coup, Monsieur J. les a suivis. Non sans m’avoir fait remarquer que j’avais beaucoup de livres, beaucoup de bibelots, etc.
Quelque vingt minutes plus tard, José montait à nouveau voir si j’avais de l’eau. Et j’en avais! Mais j’étais encore sous le choc. Le sans-gêne me perturbe toujours même s’il me laisse parfois muette de stupéfaction. Ce n’est bien sûr que le lendemain que me sont venues les phrases que j’aurais voulu dire à Monsieur J.
*toile de Zurab Martiashvili