Lali

27 avril 2025

En vos mots 940

Filed under: Couleurs et textures,En vos mots — Lali @ 8:00

Déjà le dernier dimanche d’avril. J’ai l’impression à la fin de chaque mois qui se termine qu’il a passé plus vite que le précédent. Probablement parce que je n’ai pas été en mesure de réaliser tout ce que je me promettais de faire. Je mets parfois la barre un peu trop haute pour mes capacités.

Et qui dit dimanche au pays de Lali dit En vos mots. Je vous invite donc comme chaque semaine à faire vivre une scène livresque à votre manière. Choisissez la prose ou la poésie, il n’y a pas de règles au pays de Lali. Et comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc amplement le temps d’écrire quelques lignes à partir de ce tableau de Lucien Pissarro et de lire les textes déposés sur l’illustration de dimanche dernier, et même de les commenter si vous le souhaitez. C’est avec plaisir que nous vous lirons.

D’ici là, bon dimanche, bonne semaine et bon début de mai!

2 commentaires »

  1. Le journal tombait chaque soir vers 17 heures dans leur boîte aux lettres. Je n’étais pas là pour savoir lequel des deux allait l’y chercher. Mais je les soupçonne d’avoir guetté avec une impatience croissante au cours des années le bruit du quotidien glissé prestement dans le réceptacle. Je les imagine épiant fébrilement le passage de la libraire effectuant sa tournée d’un pas pressé tout en poussant son chariot. Le couple tenait le magasin, mais en fin d’après-midi, c’était elle qui se mettait en route pour la tournée. Je les visualise alors se précipiter dans le couloir pour recueillir les feuillets qui constitueraient l’occupation de leur soirée. Pour mes grands-parents, car il s’agit d’eux, ils représentaient avec la radio leur fenêtre sur le monde. C’était une belle et grande vieille radio, que mes parents n’ont pas gardée, ce que je trouve dommage.
    La même libraire passait chez nous déposer une identique gazette, et m’envoyait mon « Lisette » quand nous étions en vacances. C’était chez eux que Maman se rendait une fois par semaine pour se le procurer, ainsi que le « Paris Match » et un magazine féminin (« Libelle », et plus tard « Femmes d’Aujourd’hui »). Quand mes parents se sont décidés tardivement à accueillir chez eux un téléviseur, l’une des deux revues fut remplacée par un hebdomadaire télé. Et pendant un certain temps, nous avons acheté chaque semaine avec régularité l’encyclopédie « Atlas ». C’était une idée de Papa, que je vois encore exposer sa proposition avec une joie de petit garçon. Les fascicules coûtaient, je m’en souviens, trente francs belges. Et il avait suggéré que nous donnions chacun dix francs de contribution. Les albums dans lesquels les réunir seraient à ses frais, et l’ensemble des volumes serait destiné à « mon petit nid » quand je quitterais le leur. Maman n’était pas vraiment favorable à cet achat. Mais il y avait mis toute sa force de persuasion, et il en en fut fait comme il le souhaitait. Cela lui apportait visiblement tellement de plaisir, lui que le plaisir désertait si souvent! Conformément aux prévisions de Maman, presque avant la fin de la parution complète beaucoup de données étaient déjà devenues obsolètes, et cela n’alla pas en s’arrangeant. Nous consultions parfois notre merveille, avec un mélange de gentille dérision du côté de Maman, et de satisfaction enfantine mêlée de fierté de la part de Papa. La même ambiance bon enfant régnait lors des séances périodiques de reliure. C’est finalement chez eux qu’est restée la collection, que je n’ai jamais emportée car elle prenait beaucoup de place et n’était entre-temps comme déjà dit plus tellement d’actualité. Bien plus tard, il n’a même pas été possible de la revendre. Mais voir Papa heureux avait valu la peine. Et cette acquisition reste un beau souvenir.
    Je ne sais plus de quelle manière mes parents liaient le journal. Il me semble que parfois ils se le partageaient également. Mais chez mes grands-parents c’était une habitude quotidienne. Leur « Soir » se retrouvait invariablement morcelé, et ils se passaient les morceaux après en avoir achevé la lecture. Contrairement à mes parents, qui ne se concentraient que sur certaines parties et survolaient le reste, mes grands-parents épluchaient tout de A à Z. Il faut dire qu’ils n’avait pas grand-chose d’autre à faire. Et ils en voulaient peut-être pour leur argent. Je revois mon grand-père dans son fauteuil près de la fenêtre, et ma grand-mère dans le sien près de la porte d’entrée. Parfois Bon-Papa se tenait à la table, sans doute par confort pour pouvoir étendre les feuillets et en même temps utiliser sa loupe. Par beau temps ils s’installaient je pense dans leur cour, avec vue sur le potager créé et entretenu par mon grand-père. Cela lui rappelait son jeune temps où il avait cultivé des légumes sur un lopin de terre à son travail, pendant la guerre. J’ai encore sur les lèvres le goût des fraises qui poussaient dans leur petit jardin, dans un coin duquel j’avais un jour creusé espérant trouver un pactole. Le trésor, ce sont aujourd’hui mes souvenirs. Ceux de jours paisibles, et de mes jeux d’enfant chez eux où je jouais entre autres « antiquaire » en présentant quelques-uns de leurs objets décoratifs à des clients imaginaires. Je feuilletais aussi chez eux la revue « Panorama » à laquelle était abonnée ma grand-mère. Et comme pendant longtemps nous n’avons chez mes parents pas eu le téléphone (chose difficilement imaginable de nos jours), et que nous ne recevions donc pas les annuaires, je passais des heures délicieuses en recherches dans ceux de mes grands-parents. Fascinée d’y retrouver les noms de nombre de comédiens et comédiennes, que je connaissais par coeur à force de compulser les programmes de théâtre de Maman. Ces acteurs et actrices étaient les compagnons de ma solitude, et je trouvais extraordinaire de pouvoir soudain apprendre où ils habitaient, avec leur numéro de téléphone à portée de main.
    Je revois mon grand-père dans ce même fauteuil où il lisait le soir. Quand je leur rendais visite en journée, je lui apprenais des paroles de chansons. Et à la même table où il étalait sa feuille de chou, nous partagions d’innombrables parties de cartes et de dominos.
    Il m’arrive maintenant encore de rêver de leur appartement. Les souvenirs des choses les plus simples, comme l’un ou l’autre penché sur ses pages de journal, ou m’ouvrant la porte, demeurent pour moi au travers du temps les symboles forts et vivants de l’enfance. Et de la tendresse.

    Comment by anémone — 2 mai 2025 @ 16:21

  2. Je suis à un âge où je peux avouer, sans crainte, que mes premières lectures d’adolescent ont été faites aux dépens de Monsieur Paul, qui avait une petite librairie spécialisée dans les livres d’occasion tout en haut de la bien nommée rue de la Miséricorde.

    J’étais persuadé qu’il ne s’était jamais rendu compte de rien jusqu’au jour où, pas peu fier, je suis allé acheter Les fables de la Fontaine illustrées par Benjamin Rabier, qu’il venait de mettre en vitrine, affiché à 75 euros. Étant donné son excellent état de conservation, le prix me semblait raisonnable. À la caisse il m’a été demandé 82,75 euros et, sur le moment, je me suis dit que les taxes n’étaient pas comprises dans le prix affiché en vitrine. Ce n’est que le soir que j’ai trouvé une feuille pliée en quatre où était écrit « le prix de livres que tu achèteras dans ma librairie seront majorés de 10%, à titre de remboursement de tous ceux que tu m’as volés pendant des années. J’espère te voir souvent. Ton ami Paul. »

    Le lendemain, honteux, je suis allé m’expliquer. Monsieur Paul lisait son journal sereinement et n’a pas semblé surpris de ma visite. Je lui ai parlé de mes difficultés financières d’adolescent pour justifier mes actes. Et surtout je l’ai remercié d’avoir fait semblant de ne rien voir et de ne pas m’avoir dénoncé ni à mes parents ni à la police.

    D’un air sarcastique, il m’a répondu : « J’ai seulement fait le pari d’investir dans l’avenir. Si je t’avais dénoncé je n’aurais pas le bonheur de te compter aujourd’hui parmi mes amis et clients préférés. »

    Nous sommes restés amis jusqu’à ce que Dieu, jaloux de notre belle amitié, décide de le rappeler auprès de lui.

    Aujourd’hui encore, lorsque, aux premières lueurs du jour, je descends la rue de la Miséricorde, je pense à Monsieur Paul et à tous ces livres qu’il m’a fait découvrir au fil des années, comme autant de fenêtres qu’on ouvre sur le monde.

    Arrivant sur la berge du Tage, j’aime admirer le va-et-vient des bateaux qui s’en vont vers l’autre rive, glissant sur les eaux baignées par le premier soleil, auquel en guise de bonjour il me plaît de dire Par le Tage et par Monsieur Paul on va vers le monde. Pessoa ne m’en voudra pas.

    Comment by Armando — 3 mai 2025 @ 12:14

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