En vos mots 939

J’ai découvert ces jours-ci les illustrations de la Néerlandaise Stéphanie Konig, à qui je consacrerai sûrement un billet du samedi après-midi dans les semaines à venir, car la lecture est un thème qui semble l’inspirer.
Pour le moment, je vous propose de faire vivre en vos mots cette jolie scène livresque qui a des airs de Pâques, avec ce lapin qui tient compagnie à une jeune lectrice. Aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain, Vous avez donc plus que le temps d’écrire quelques lignes et même de lire les textes déposés sur l’aquarelle de dimanche dernier. C’est avec plaisir que nous vous lirons.
D’ici là, bon dimanche de Pâques et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
J’avais pour compagnon quand j’étais enfant un petit lapin en caoutchouc de couleur orange, vêtu d’une salopette verte dont je ne me souviens que déjà très décolorée. Un jour que je faisais des courses avec maman, ce jeune animal prit soudain la parole avec animation, et la garda à partir de là jusqu’à mon adolescence. La légende voulait qu’il soit soudain apparu à ce moment, perdu dans la rue et demandant un abri et des carottes, et que maman avec son grand coeur l’avait secouru et ramené pour ma plus grande joie à la maison. Toute sa vie il l’appela « Mayam », terme affectueux pour « Madame », mot qu’il n’arrivait pas à prononcer lors de notre rencontre. Son discours devint dès lors quotidien. Peu après mes six ans il changea d’apparence, mais pour moi il restait toujours le même. Au décès de ma grand-mère, deux jouets dont je disposais chez elle dans un tiroir, avaient en effet été rapatriés chez nous. Une poupée nommée Jeannette. Et un lapin de même taille que le premier mais en meilleur état et blanc, avec une patte en l’air, ce qui allait très bien à Jeannot, toujours volubile et en verve.
Peu à peu il s’était adjoint une compagne imaginaire nommée Serpolette, puis même deux enfants. Bien petit nombre pour ce type de rongeurs, ce que j’ignorais à l’époque, mais vous l’aurez compris: Jeannot n’était pas un lapin ordinaire. Bien qu’ayant lui-même sa famille, et un petit logement que j’imaginais entre le terrier et une maisonnette de Schtroumpf, il faisait partie intégrante de la nôtre. Et ce n’était que lui qui nous accompagnait au quotidien, retournant chez lui, ou à l’école, de temps à autres.
Si je recevais de l’affection, les compliments ne pleuvaient pas chez moi. Alors, je le comprends maintenant, Jeannot prenait la relève. Il exprimait avec emphase, ne craignant pas l’hyperbole, ce que je ne pouvais dire et ce que j’aurais tellement aimé entendre, même avec moins de démesure. Il était le plus beau, le plus doux, le plus charmant, le plus intelligent, le plus majestueux… et bien sûr le plus modeste. Je m’aperçois aujourd’hui que ces envolées constituaient également un excellent exercice de vocabulaire!
Jeannot et sa famille avaient une chanteuse favorite, star de la gent lapine, dont je n’étais secrètement pas peu fière d’avoir inventé le nom à partir de celui d’un personnage public réel, moi à qui on ne parlait jamais de l’actualité mais qui feuilletais le Paris Match de maman dès son arrivée. Cette vedette se nommait tout simplement Carotta King. Quant à la personne qui l’avait inspirée, certains parmi vous se souviendront probablement de l’épouse du grand Martin Luther King dont le prénom était Coretta!
Quand je devins amoureuse d’une compagne de classe sans oser le dire mais en brûlant d’en parler tout le temps, Jeannot s’enticha d’elle et réalisa même son portrait.
Je suppose qu’il parla moins à mesure que les ans passèrent. Pudeur oblige, et j’étais de moins en moins une enfant. Mais lorsque à dix-huit ans je bénéficiai d’un séjour linguistique en Allemagne, je revins à la grande surprise de mes parents avec un lapin en peluche acheté avec ce qu’il me restait de devises. Je ne sais si leur étonnement venait du fait que j’achète une peluche à mon âge, ou bien que je remplace aussi facilement mon vieux lapin en caoutchouc qui n’avait plus rien de blanc et plus qu’un de ses deux yeux dessinés. Celui-ci, de la marque « Knopf im Ohr » et d’une belle taille, avait le poil soyeux et de vrais grands jolis yeux. Mayam eut peut-être plus de mal que moi à adopter ce nouveau Jeannot , ce que je peux à présent comprendre. Mais pour moi je n’avais aucune ment remplacé Jeannot. C’était toujours le même , qui avait enfin retrouvé une apparence conforme à la manière dont je le voyais. En lui rendant belle allure, je lui avais restitué sa dignité. Maman Mayam s’y est habituée et il l’a même accompagnée pendant nombre de ses dernières années. Vu que je ne le triturais plus comme du temps de mon enfance, et qu’il était bien traité chez elle, il est toujours en excellent état et je l’espère heureux chez moi. Où je lui ai trouvé depuis déjà un bon moment une charmante compagne. Il n’a plus besoin de parler. Mais je sais qu’il a tout en mémoire.
Comment by anémone — 25 avril 2025 @ 7:02
Je crois que cette fois-ci c’est la bonne. L’heure est venue de faire nos adieux. Il faudra qu’on se regarde bien en face et qu’on se quitte. Pour de bon.
Il est vrai qu’on n’a jamais vécu l’un pour l’autre que par nos absences. Toi, avec ta vie à vivre. Moi dans l’attente d’une rencontre qui n’est jamais venue. On s’est croisés, tout au plus. On a échangé des mots. Des mensonges. Des plaies et autant de nuits sans dormir. Pas de quoi se vanter d’un album de souvenirs, dans nos soirées mondaines.
Un jour, dans une vieille bouquinerie, j’ai trouvé une feuille de merisier en guise de marque-page. C’était un bouquin ancien dont j’ai d’ailleurs oublié le nom de l’auteur, tellement la découverte de la feuille sèche m’avait émerveillé.
Il me vient que ce jour-là, malgré ton absence, tu m’as aidé a faire mon unique herbier. Je n’en ai plus jamais voulu d’autre. Comme j’ai aimé ces moments fortuits où je pouvais imaginer dans ton regard une sorte de fierté heureuse. Et nous en avons dessiné quelques-uns, dans mes cahiers d’enfance. Malgré mes crayons de couleurs taillés à la hâte. Maladroitement.
Dire qu’on aurait pu dessiner des nuages, quelques gouttes de pluie. Et un arc-en -ciel. Quand j’y pense, je me dis qu’on aurait dû. Si on avait mis du cœur à l’ouvrage. Ou rien que du cœur. Rien que ça. Pas plus.
Mais, je ne veux pas te retenir. Cette fois-ci il faut que tu t’en ailles. Pour de vrai. Tu n’as pas le choix. Et moi je vais te laisser partir. Dans ce lieu secret où s’en vont toutes les mamans quand elles s’en vont pour toujours.
Peut-être, je dis bien peut-être, que tu pourras, enfin, veiller sur mon sommeil. Peut-être que j’entendrai le murmure de ta voix me dire « je t’aime » juste avant que je m’endorme. Ce serait bien. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, à ce qu’on dit. Tu en penses quoi?…
Allez, assez bavardé. Il est temps de me taire. Je te libère. Va-t’en. Oublions tout ça. Carpe diem.
Comment by Armando — 26 avril 2025 @ 22:10