En vos mots 879
Déjà le dernier dimanche du mois. C’est fou comment les semaines passent vite. Probablement parce qu’elles sont fort occupées. Est-ce le cas de celles de la lectrice peinte par Charles Conder?
À vous de nous le dire. En vos mots. Comme vous le faites si bien, semaine après semaine. C’est avec plaisir que nous vous lirons dans une semaine, car aucun commentaire ne sera visible avant.
D’ici là, profitez-en pour lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier, et même de les commenter si vous en avez envie. Puis, laissez votre imagination vous guider. C’est avec plaisir que nous vous lirons.
Bom dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Anne n’a pas beaucoup de temps à elle. Non pas qu’elle soit occupée par un travail harassant. Il faut que ses mains restent blanches, tout comme ses tenues. Son mari y tient. Le ménage est d’ailleurs tenu par du personnel de maison.
Tout au plus se doit-elle d’organiser avec maestria les dîners et goûters mondains ayant lieu régulièrement sous leur toit. Et exercer quotidiennement ses talents de pianiste afin de régaler les invités de concerts lors de ces après-midis ou soirées.
Bien sûr, il est nécessaire de superviser l’ouvrage des domestiques, et de donner les ordres nécessaires. Mais ceux-ci connaissent en général leurs tâches et les désirs de madame, et sont assez autonomes. Elle a aussi beaucoup de chance de pouvoir leur accorder toute sa confiance. Il est vrai qu’elle leur a toujours témoigné beaucoup de sollicitude. Et que plusieurs d’entre eux l’aiment depuis sa tendre jeunesse, et ont bien connu ses parents.
Malgré cela, peu d’heures lui sont accordées pour faire vraiment ce qui lui plaît. En rentrant de sa journée à la banque, son mari aime la trouver au piano ou avec à la main une broderie en cours. Et il n’est pas à l’ordre du jour qu’elle sorte seule autrement que pour un gala de bienfaisance ou quelques heures avec ses compagnes dispensant la charité.
Aujourd’hui pourtant, elle n’y tient plus. La douceur de l’air l’appelle par trop, en ce presque début de printemps. Et elle ne souhaite pas se satisfaire d’une simple incursion au jardin. Elle a donc prétexté une rencontre avec ses amies Claire et Cécile afin de préparer quelques colis pour les pauvres. En réalité, elles se sont vraiment rencontrées, car Anne n’aime pas trop travestir la vérité, et craint toujours les éventuelles retombées d’un mensonge. Elle va donc mentir par omission, en ne fournissant pas tous les détails de sa journée. Mais en quittant ses amies, sans rien dire à personne, elle a fait un crochet par la baie. Et elle s’est assise une petite heure sur la plage. Pour respirer enfin librement. Il fait encore un peu frais mais elle n’en a cure. Elle a toujours dans son sac son livre de chevet. C’est la meilleure cachette. Car à la maison, elle n’a pas non plus le droit de lire. Son mari voit la lecture d’un très mauvais oeil. Pour lui, il est tout à fait inutile, voire nuisible, que les femmes se targuent de culture. Anne a fait bien attention de ne croiser personne sur le chemin. C’était un risque à prendre. Il faudra aussi ne rencontrer personne au retour. Elle lève parfois les yeux de son roman, sondant l’infini de la mer, où parfois passent des bateaux. Il est bien possible après tout que son mari ait en partie raison: la littérature peut donner des idées aux femmes. Ainsi, il est assez probable qu’un jour elle quitte ce nid douillet qu’à la suite de ses parents il lui a construit, sans nul intérêt pour la personne qu’elle est vraiment. Cette prison qu’il a bâtie autour d’elle et qui l’étouffe tant. Cette cage dorée, d’où l’oiseau qu’elle se découvre être, pourrait bien un jour déployer ses ailes, et prendre son envol. Sans aucun regret. Et avec pour seul ferme projet de ne jamais y revenir.
Comment by anémone — 29 février 2024 @ 9:02
Lisbonne, 3 mars 2024
Ma chère B.,
Pour mon anniversaire, nous avons invité Anne, Paul, Sophie et son compagnon, Joaquim. Anne et Sophie sont des collègues de travail avec lesquelles l’entente n’a jamais connu de failles.
Nous avons passé une agréable soirée. Une soirée puzzle, comme je les appelle. Ces soirées où l’on parle de choses et d’autres. Pêle-mêle. Et chaque conversation semble devenir une pièce d’un puzzle harmonieux.
Je leur ai raconté le discours de saint Antoine aux poissons. Prononcé en 1654 au Brésil. Texte que je trouve indispensable.
Le chemin de la musique est venu sans qu’on s’en rende vraiment compte. J’aurais dû dire musique au pluriel. Nous avons déambulé de Chet Baker à Barbra Streisand. Chantonné « Dans le silence de l’hiver, je veux revoir ce lac étrange, entre le cristal et le verre, où viennent se poser les anges ». Et puis Peyrac.
Paul n’avait que condescendance pour nos références. Pour lui il n’y aurait que Mozart et Bach. « Bach, c’est un délire de ouf », s’amusait-il à dire. D’un air intello et sans une goutte d’alcool. Être le Bob, celui qui doit rester sobre pour reconduire les autres à bon port, c’est s’infliger un régime d’eau et de jus d’orange.
Je ne me souviens plus par quel chemin Sofie s’est mise à raconter ses vacances chez ses grands-parents où il y avait un vinyle d’Aznavour, qu’elle adore. Joaquim, d’habitude taiseux, s’est montré loquace et nous a raconté, ému, ses dernières vacances avec sa petite sœur, qu’il ne voit plus, depuis qu’elle s’est installée à Wellington où elle exerce comme médecin dans une service de pédiatrie.
Sans doute, par l’alcool et l’émotion, il m’est venu l’envie de raconter à mon tour un souvenir de vacances. Je leur ai raconté celles que nous avons passées chez nos grands-parents, au bord de la mer. Souviens-toi. Je leur ai tout raconté. Le chien, Molécule, qui nous suivait partout et aussi nos 400 coups. Les délicieux gâteaux de grand-mère et les chansons, le soir, pour la plus grande joie de grand-père, qui ne jurait que par Luis Mariano.
La soirée s’est terminée aux aurores. Avec la promesse de nous revoir très vite.
Alors que je leur faisais des adieux, accoudé à la fenêtre, Dora est venue me rejoindre. Elle a mis son bras autour de moi et d’une voix tendre et complice m’a glissé : « Luis Mariano… Il faudra que je m’en souvienne. »
Je t’embrasse.
A.
Comment by Armando — 1 mars 2024 @ 12:54