En vos mots 855
Déjà un autre dimanche! Mais où la semaine a-t-elle pu passer? Il me semble me dire cela chaque semaine…
Mais bon, elle a eu des côtés agréables. J’ai en effet pu me baigner tous les jours tant il a fait chaud. Mais j’ignore si je pourrai encore le faire ces prochains jours. Et puis, il n’y a pas que la piscine. Il y aussi les livres. J’ai d’ailleurs des piles de livres un peu partout, ce qui m’a donné l’idée de vous offrir cette toile du peintre belge Charles Emmanuel Biset afin que vous le racontiez en vos mots.
Aucun commentaite ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc toute la semaine pour lui donner vie. Mais d’abord, n’oubliez pas de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
En arrivant dans ce quartier où sommeillent mes premiers souvenirs, je me suis dit que ceux qui ont vécu en ville n’ont jamais eu vraiment de maison de famille. Tout au plus ils ont eu une rue, un quartier. Mais pas de maison familiale. Ça, c’est le doux privilège de ceux qui portent encore en eux le souvenir doux de l’enfance.
Cinquante ans plus tard, tout me semble impersonnel. Il n’y a plus de chiens qui trainent. Où sont passées les cris espiègles des enfants? Ces seuls rayons de printemps avec lesquels j’arrivais encore à tromper mes souvenirs lorsque la douleur se faisait aigre?
Les automobiles, comme de nouveaux maîtres, ont chassé l’enfance de la rue. L’épicerie est devenue un bar à tabac. La boucherie est désormais une maison dédiée à la vente de thés et tisanes exotiques. Je souris. Avec tristesse.
Au pas de l’immeuble, une dame courbée par la dureté des années semble m’attendre. Elle a l’air maladroitement négligée et émue : Je suis Pauline…. Tu te souviens de moi?… On était de bons amis. On jouait toujours ensemble. Avec Carlos, Joseph et Hélène. Tu te souviens?…
Comment pourrais-je ne pas m’en souvenir?… Je me souviens de tout. D’avoir tant dessiné dans le creux des nuages le nom de ceux qui m’ont tant manqué. Et mêmes si les souvenirs ne sont pas tous égaux selon les nuits, la douleur est restée toujours la même.
En montant à l’étage est venue l’odeur de son alcool. Ses cris. La brûlure du cuir sur ma peau. Et mon âme comme une cicatrice. Et puis, les cris de bête haineuse : T’es que le fils d’une traînée. Un vaurien. Un inutile. Et la brûlure du cuir. Je ne savais pas encore que je n’étais rien d’autre qu’un enfant.
Sur son bureau où règne le désordre, une lettre m’attend. Il savait donc qu’un jour ou l’autre je reviendrais. Même si je lui avais dit que plus jamais je ne retournerais à la maison du diable.
« Nous aurions pu partager maintes belles choses. Des rires. Des larmes. Et même des silences.
Je sais que je t’ai volé l’essentiel, mais je te laisse tout ce qu’il me reste. Ou presque. J’emporte avec moi, mes regrets, ma douleur et ma solitude. Je ne voudrais pas te laisser un si lourd fardeau en héritage. Ton père. »
Il n’a même pas signé de son nom.
J’ai tout laissé. Sans y toucher. En fermant la porte derrière moi, je me suis dit que seule la mort peut rendre les souffrances futiles, pour celui qui meurt. Pour ceux qui restent, elles seront indélébiles, pour longtemps encore.
Comment by Armando — 11 septembre 2023 @ 6:07
Pour nous, il était plus qu’un prof. Il était LE prof. Celui qui nous parlait d’une manière dont aucun autre n’avait le talent. Ou la volonté. Toujours est-il que même malade, ou par mauvais temps, on faisait tout ce qu’ils nous était possible pour assister à ses cours. Faut dire que nous étions dix élèves. Dix presque frères.
C’est Anna, la seule fille du groupe, à qui on avait attribué, bien avant la libération de la femme, le statut de chef de la bande, qui nous a contactés pour qu’on se réunissse comme au vieux temps. Notre très aimé prof de littérature voulait absolument nous voir. Tous. Ensemble. Et j’avoue qu’on était heureux, après tant d’années, de revoir celui qui avait tant contribué à faire de nous ce que nous sommes devenus.
Le rassemblement a eu lieu au petit café où on allait jouer aux Corneille, Diderot ou Balzac, après les cours. Anna, elle, jouait les Louise d’Épinay, un peu rêveuse, en se plaignant de se voir contrainte de tenir salon avec neuf monstres d’imbécillité, qu’elle aimait comme ses frères. Et on riait.
Le prof nous attendait avec sa chaleur paternelle. Heureux de voir que nous étions tous là. Son regard posé sur nous était empreint de douceur et de tendresse. Comme si lui aussi, sans nous, n’aurait jamais été ce qu’il avait été. Et la musique de sa voix qui nous était si familière :
J’ai demandé à vous voir pour que vous me donniez l’honneur d’accepter d’être les héritiers de mes livres. Le jour où je partirai, je serais heureux de savoir que ma riche bibliothèque sera confiée à ceux qui sauront la chérir autant que j’ai aimé chacun de ses livres. Et pas qu’ils s’en aillent mourir chacun dans son coin chez un quelconque alfarrabista mercantile. Voire pire.
En silence, en guise de réponse, nous l’avons entouré, avec cette reconnaissance pour certains professeurs qui sont comme des lucioles qui embellissent la nuit de leurs petites lumières fragiles.
Comment by A — 11 septembre 2023 @ 23:14
La porte s’est ouverte, et ils sont tombés. Les uns sur les autres, sans ordre. Comme catapultés. De toutes les sortes. Conservés intacts ou détériorés. Agendas, livres de comptes, journaux intimes, albums photos. Recouverts de cuir ou de moleskine. D’autres déchirés, en carton friable et papier léger. Des pages jaunies, d’autres plus récentes.
La porte s’est ouverte, et tout est tombé. Une montre breloque, des lunettes d’écaille, un crayon un peu mordillé. Une gomme usagée. Une chaîne d’argent un peu emmêlée. Un tournevis en croix. Une mèche de cheveux dans une petite boîte. Des boucles d’oreille en strass. Deux ou trois médailles oxydées.
La porte s’est ouverte, et tout s’est montré soudainement révélé. Années de labeur, de patience. De rage. Joie de quelques jours de congé. Comme dérobés. Objets et cahiers, là, en héritage. Objets de pudeur, comme violés.
Il va lui falloir beaucoup de courage. Celui d’affronter. L’aura-t-elle jusqu’au bout, ce courage? De tout lire, de tout trier? L’impression qu’elle a, pour l’instant, c’est qu’elle en a bien pour quelques années.
Comment by anémone — 13 septembre 2023 @ 17:56
J’ai reçu pour mon anniversaire un puzzle d’un tableau de Charles Biset. Ceux qui me tolèrent depuis des années ont voulu faire un clin d’œil à mon amour des livres anciens. Ses amis silencieux qui libèrent leurs mots entre nos mains amies et qui gardent la mémoire de nos regards. Plus ou moins émus. Surpris, admiratifs ou rieurs.Selon.
Mes livres sont l’âme chimérique des mondes endormis dans la poussière des étagères, à rêver d’être lus. La seule manière d’exister. D’être libres dans les ailes de nos rêves.
Je suis assez brindezingue pour me dire que les livres aiment la tendresse des mains qui les touchent. Les mots en sourdine que nos lèvres murmurent, pour qu’ils s’envolent, comme des papillons vers la lumière, dans un ballet harmonieux et magique qui émeut tous ceux, et nous sommes sûrement nombreux, qui croient que les objets inanimés ont une âme. Et que cette âme veille sur les lecteurs que nous sommes. Le temps de quelques lignes. Voire quelques pages. Et parfois des années après qu’on ait lu le dernier mot de la dernière page.
Toujours est-il que mon puzzle, après des années de pièces assemblées patiemment, au rythme de complicités, de sourires heureux, et des détours d’une existence dont personne ne choisit jamais le chemin vraiment est complet. Même si certains prétendent si souvent le contraire.
Pour beaucoup, dans mon puzzle inachevé il manque une pièce.
Pour moi, il ne manque de rien. Il évolue au fil du temps et des histoires vécues. Chaque pièce absente est souvent un souvenir gardé au fond de mon cœur. Donc, la pièce est absente, mais pas manquante. Elle existe autrement. Ailleurs que dans mon puzzle, mais elle fait partie de lui.
Et quoi qu’on dise. Chacune des pièces absentes sont si chères à mon cœur puisqu’elles donnent une valeur unique à mon puzzle. Même si pour d’autres, les pragmatiques et plus incrédules que saint Thomas, il manquera toujours des pièces.
Comment by Pépé de Lisbonne — 14 septembre 2023 @ 23:50