
Je ne sais plus à quel moment nous nous sommes rencontrées. Il me semble que c’était à un lancement, mais je peux me tromper. Hélène Rioux fait partie de ma vie depuis si longtemps qu’il me semble parfois qu’elle a toujours été là. Je vous ai d’ailleurs parlé un jour de ses Dialogues intimes. Et je vous parlerai sûrement de Mercredi soir au bout du monde.
Mais aujourd’hui, je raconterai plutôt une scène. Celle d’une longue entrevue que nous avions réalisée chez elle il y a tellement d’années que je n’ose pas les compter. Élise était encore une petite fille et non pas cette belle jeune femme qu’elle est aujourd’hui et la scène peinte par Ingeburg Borowski n’est pas sans me rappeler la complicité qui les unissait.
Le réalisateur nous avait installées dans un face à face confortable. Et parce qu’il sentait les choses et qu’il aimait vraiment les enfants, il avait laissé Élise s’installer sur le sofa tout à côté pour ne rien rater de l’émission de télé qui se filmait dans son intérieur.
Je me rappelle les yeux d’Hélène quand elle parlait de l’Espagne, des olives, de Jim Morrison. Mais encore plus comme ils jetaient mille feux heureux quand elle parlait d’écriture, de son parcours. Et plus encore quand son regard se posait sur le sofa où une princesse avait fini par s’endormir même si elle avait cru être en mesure de tenir bon. C’était sans compter la mise au point des éclairages, les tests de voix, les meubles qu’on déplace pour que les caméras puissent bouger.
Je me rappelle tout cela et bien d’autres moments. Nos nombreux soupers. Un roman que j’ai lu avant qu’il ne paraisse. Les petits-enfants que lui a donné Mitia, son fils. Et ses nombreux retards. Pas étonnant qu’elle ait dirigé un numéro de XYZ. La revue de la nouvelle sous le thème « Retards ». Pas étonnant non plus qu’elle m’ait demandé de préparer ce numéro avec elle, avec cette complicité et cette amitié qui sont les nôtres, même si nous nous voyons trop peu. Bien trop peu. Et si la ponctualité n’est pas un trait de sa personnalité, il est une chose sur laquelle Hélène n’est jamais en retard, et c’est le bonheur.
« Le bonheur, me direz-vous, ce bonheur de tous les jours, de tous les instants, il est là, il est latent, il faut savoir, vouloir le trouver dans les gestes les plus petits, sourires, chansons dans la rue, air de flûtemélancoliquement joué, rayon de soleil furtif, arc-en-ciel, clair de lune sur le lac bleu, gestes aussi posés tous les jours, empreints d’une richesse insoupçonnable, savoir le prendre, ne pas demander une vie d’aventure, une vie d’anarchiste, la vie, merveille sans cesse renouvelée, savoir en prendre conscience, les enfants, les saisons, les paysages flous, le brouillard, le ressac, la brise et le soleil, pourquoi toujours chercher l’inaccessible – insatisfaction chronique -, le bonheur est à la portée de la main, me direz-vous, savoir le prendre, le toucher, l’avaler, aucun prétexte même à la tristesse. » (in Un sens à ma vie)