Ce que mots vous inspirent 2135
Ce n’est pas la page qui angoisse, mais ce qu’on serait capable d’écrire, sans retenue. (Antoine Emaz)
*illustration de Moosn
Ce n’est pas la page qui angoisse, mais ce qu’on serait capable d’écrire, sans retenue. (Antoine Emaz)
*illustration de Moosn
Lancinant,
le cri des mouettes
nous traverse comme un reproche
Nous avons vécu des années de poussière
sans retenir la leçon des tempêtes
Le temps s’est évaporé,
la plage est vide
Si peu de mots pour construire la vie
Le cri des mouettes,
lancinant,
dénonce les renoncements,
la passivité des miroirs
Nous avons laissé nos couteaux au vestiaire
Il fallait brasser sans relâche la boue,
extraire l’or,
et scintiller
Il fallait mettre le rêve en mouvement
Il fallait
Mais nous avons si peu rêvé
Déchirant,
Le cri des mouettes
Déchirant
Colette Gibelin, Souffles et songes
*choix de la lectrice de Fongwei Liu
J’adore découvrir des artistes. Chantal le sait, elle qui a choisi pour moi cette magnifique toile du peintre Alfred Guillou, natif de Concarneau, qu’on retrouve souvent dans ses toiles.
Je suis sous le charme. Lumière, souci du détail et atmosphère, tout est là.
Il y a bien une raison pour que le vent se lève,
torde les arbres en un geste dément,
arrache les feuilles,
s’apaise et recommence.
Il y a bien une raison pour que la mer avance et recule
inlassablement,
ronge les roches,
convulse les bateaux.
Y a-t-il bien une harmonie de ces forces contraires
à l’œuvre dans nos corps, nos paroles,
nos rêves même, et qui se cherchent, s’affrontent,
s’accouplent,
fécondant l’avenir?
Il y a bien un sens à la souffrance, à l’extase,
au délire?
Il y a bien un début
et une fin
à toute chose
Ou n’est-ce que béance?
Colette Gibelin, Souffles et songes
*choix de la lectrice de Pierre Georges Jeanniot
Je ne cesse d’être moi
Les jours ne cessent d’être lourds
Comme ils n’ont jamais été lourds.
Le vent ne cesse d’être chaud
Comme il n’a jamais été chaud.
Le ciel ne cesse d’être bleu
Comme il n’a jamais été bleu.
Moi, je ne cesse d’être moi
Tout en doutant d’être bien moi.
Le cœur est une bête étrange.
Obéit-il au diable, à l’ange?
Pour un rien, il change d’humeur.
Mais voilà! un cœur est un cœur!
On a beau faire ce qu’on peut,
On ne sait jamais ce qu’il veut.
Maurice Carême, Être ou ne pas être
*toile de Victor Marec
Je laissais le poème
Je laissais le poème
Aller où il voulait.
Je ne savais pas bien
Ce qu’il cherchait sans fin
Tel un chien aux aguets.
Moi, je ne disais rien,
Car c’était son secret.
J’allais où il allait
Et comme il le voulait.
Des hêtres, dans le ciel,
Découpaient de trous bleus
Qui semblaient les fenêtres
D’un château fabuleux.
Maurice Carême, Être ou ne pas être
*toile de Vladimir Egorovich Makovsky
Je t’avais dit
Je t’avais dit ceci,
Tu m’avais dit cela.
Il avait dit aussi
Ce qu’il pensait de toi,
Ce qu’il pensait de moi.
Et puis nous avions dit
Avec beaucoup d’esprit
Ce que pensaient de lui
Ses parents, ses amis,
Ses pires ennemis.
Ses parents avaient dit
Ce qu’ils pensaient de nous;
Et nous, après, de lui;
Et lui, après, de vous,
Qui êtes ses amis.
Ayant dit tout ceci,
Ayant dit tout cela.
Nous nous sommes repris
Ce n’était pas ceci
Qu’on avait dit de moi,
Ce n’était pas cela
Qu’on avait dit de lui.
Ce n’était pas de toi,
De moi, qu’on avait dit
Ou ceci ou cela.
Maurice Carême, Être ou ne pas être
*toile de Giovanni Madonini
Où t’en vas-tu?
Où t’en vas-tu, toi que l’on dit poète
Avec ton sac plein de soleil couchant?
Oublierais-tu que la joie n’a qu’un temps,
Que les jours fuient ainsi que paille au vent?
Vois, les forains éteignent leurs comètes.
Toi qui ne crois en faire qu’à ta tête,
Où t’en vas-tu portant ton cœur battant
Comme un tambour au milieu de la fête?
Maurice Carême, Être ou ne pas être
*toile de Marie Henry Mackenzie
Je ne vois pas pourquoi
Je ne vois pas pourquoi le temps
Ne ralentirait pas un peu,
Et l’espace, par jeu,
N’aurait pas un tapis volant.
L’infini ne me tente guère.
D’ailleurs, je ne le vois jamais.
S’il mourait à la guerre,
Qui de nous s’en apercevrait?
Quant à l’absolu, laissez-le
Sur son trône de poussière
Et de bois vermoulu
Croire qu’il mène l’univers.
Maurice Carême, Être ou ne pas être
*toile de Vladimir Lyubarov