Il se rappelait le contenu de la lettre pratiquement mot pour mot. Mais où il avait pu la ranger et même s’il l’avait conservée, non. Elle fait partie du monde des regrets, de cet univers auquel il veut accéder le moins possible. Et quand, justement, il sait pertinemment qu’il pourrait passer à côté de quelque chose de précieux en dérangeant l’ordre de sa vie et que lui viennent des hésitations, c’est à cette lettre qu’il pense, et plus précisément à celle qui l’a expédiée il y a de cela 20 ans. Sa rigueur et les buts qu’il se fixait alors l’avaient retenu hors de la passion. Le lecteur de Zizco Zic avait fui devant le débordement amoureux. Car s’il savait gérer sa vie professionnelle, il ne savait plus être raisonnable devant des yeux d’une telle intensité ni devant des courbes qui le faisaient rêver quand elle était loin de lui. Si bien qu’il s’était écarté d’elle, elle qui après, lui avait dans une lettre écrit à quel point une partie d’elle était désormais éteinte, même si elle s’était jetée dans le travail, même si elle avait accepté des contrats exceptionnels, même si tout semblait lui réussir.
Et si, de son côté, il avait mené la carrière qu’il projetait et accumulé les prix et les mentions, et surtout n’avait jamais perdu la notion de la ligne droite et sans faille, quelque chose lui manquait qui lui manque toujours, et qui est là noir sur blanc dans cette lettre tombée d’un livre qu’il n’avait plus ouvert depuis des années. Il lui manque le désordre. Le désordre qui contrebalançait aux règles et qui, il le sait, trop tard, aurait été ce qu’il imagine s’appeler le bonheur.