Une princesse en exil
La lecture de certaines biographies nous éclaire parfois sur une époque et sur les liens qui existaient entre certains personnages marquants. Tel est le cas de Natalie Paley. Princesse en exil de Jean-Noël Liaut, dont j’avais apprécié la rigueur pour sa biographie de Madeleine Castaing.
Tout aussi bien documentée, sa biographie consacrée à la petite-fille du tsar Alexandre II se lit d’une traite tant elle est intéressante et habilement construite autour d’extraits de lettres et de livres qui nous donnent une bonne idée de celle qui fut l’une des figures de proue de la vie culturelle et surtout mondaine des années 1920 et 1930.
Née à Paris en 1905, elle a vécu de près la Révolution russe puisqu’elle était en Russie de 1913 à 1918 avant de s’enfuir en Finlande avec sa sœur et de rentrer en France. Perturbée par son passé et celui des siens, elle a toute sa vie cherché un bonheur qu’elle ne semble pas avoir trouvé, laissant derrière elle de nombreuses zones d’ombre que le biographe a volontairement laissées telles quelles. À quoi bon en effet mettre au jour ce qui a peut-être eu lieu qui fit d’elle une grande amoureuse platonique?
De son mariage probablement non consommé avec le couturier Lucien Lelong (qui habilla Marlene Dietrich, Colette, Greta Garbo, Michèle Morgan et bien d’autres), on retiendra qu’elle fut davantage une muse qu’une épouse, inspirant à Lelong ses plus belles créations et de nombreux parfums. La princesse et son mari avaient en effet des vies parallèles qui pouvaient s’accommoder de la situation. On retiendra aussi Venise où elle rencontra le danseur Serge Lifar avec qui elle vécut une passion orageuse; sa relation avec Paul Morand; sa courte carrière d’actrice où elle tourna notamment sous la direction de George Cukor; l’amour impossible qui l’unit à Jean Cocteau qui ne l’oublia jamais.
De son mariage pas plus consommé avec le producteur homosexuel John Chapman Wilson, on retiendra une vie mondaine des plus stimulantes jusqu’à la chute dans l’alcoolisme de celui qui aida grandement la carrière de Noël Coward. On retiendra aussi d’autres histoires, l’une avec Erich Maria Remarque, l’autre avec Antoine de Saint-Exupéry.
Mais qui fut réellement Natalie Paley? Une enfant blessée qui ne put aller au bout d’aucune de ses passions, paralysée par un passé qui devait sûrement la hanter. Une femme qui subjugua tous ceux et celles qu’elle croisa à une époque où les mœurs étaient beaucoup plus libres que quelques années plus tard. Une femme qui vivait malgré tout dans le temporaire, jamais vraiment satisfaite, jamais heureuse. Une femme au regard triste dont les yeux se sont éteints bien avant elle, celle-ci ayant perdu la vue une quinzaine d’années avant sa mort et pour cette raison refusant qu’on la visite.
Natalie Paley fut tout cela. Et aussi une princesse. Une étoile. Une muse. Pour nombre de créateurs et pour son biographe qui signe ici un portrait sans compromis mais pudique de celle qui ne sera jamais oubliée.