En vos mots 899

Déjà la mi-juillet… Décidément, les semaines passent trop vite l’été et trop lentement l’hiver. Est-ce ce que se dit la jeune lectrice imaginée par Annya Marttinen? À vous de nous le dire, en vos mots, comme vous le faites semaine après semaine.
Aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc plus que le temps d’écrire quelques lignes et de lire les textes déposés sur la scène livresque de dimanche dernier, et même de les commenter si vous le souhaitez.
D’ici là, bon dimanche, bonne fête nationale à mes amis français et bonne semaine à tous les envosmostistes et à celles et ceux qui les lisent.
Quand Nicolette jusqu’ici se rendait à la bibliothèque ou dans une librairie, elle se munissait de grands sacs, puis d’un caddie, ensuite d’une valise à roulettes, et parfois en dernier ressort d’un chariot d’assez belle taille. Mais toutes ces méthodes avaient leurs inconvénients, et non des moindres. En résumé, la charge était trop lourde et les divers contenants se révélaient finalement très inadaptés et inconfortables.
Mais un jour Nicolette rencontra Charlotte. Elle rentrait justement de la bibliothèque, plus chargée que jamais, quand au coin d’une rue elle se heurta presque à celle qui allait sur-le-champ devenir sa meilleure amie. Le choc aurait pu s’avérer violent, mais Charlotte jouissait de bonnes antennes, grâce auxquelles elle put éviter la collision en se reculant à temps. Le contact toutefois avait eu lieu. Nicolette plut tout de suite à Charlotte, et Charlotte à Nicolette.
Charlotte se rendit vite compte de la peine que sa nouvelle amie avait à traîner la quantité de livres qu’elle n’avait pu s’empêcher une nouvelle fois de charger dans sa valise. Et elle lui offrit très rapidement une solution plutôt surprenante.
– Mon dos peut les porter, tes bouquins! Tu devras juste me tirer, un peu comme ta valise ou ton caddie. Mais grâce à mes jambes véloces, et parce que j’aurai à coeur de t’accompagner (alors qu’une valise ou un caddie, c’est bien connu, n’ont pas de coeur) j’avancerai plus vite que leurs roulettes.
– Oh, c’est adorable de ta part, fit Nicolette avec reconnaissance, très touchée de cette magnifique et si rapide preuve d’amitié. Mais que pourrai-je t’offrir en échange? Je crains de me retrouver incapable de réciprocité pour te remercier de ton aide.
– Mais si, rétorqua Charlotte avec élan, et c’est bien simple. Tu m’offriras ta précieuse compagnie, et ta présence. Et je serais ravie que tu m’invites aussi chez toi. Nous partagerons alors des moments exquis de connivence. Car les livres que nous aurons rapportés, nous les lirons ensemble!
– Tu sais lire? s’exclama alors Nicolette avec spontanéité, espérant immédiatement ne pas avoir étourdiment vexé sa camarade.
– Non justement, je ne sais pas! Et j’ai envie qu’on me lise des histoires, besoin qu’on m’apprenne à lire. Tu vois que tu peux m’apporter beaucoup pour me dédommager de ce tout petit service de transport, que je te rendrai bien volontiers.
– Tope-là, chère Charlotte. Tu es merveilleuse! Je sens que tu apprendras très vite et que nous allons bien nous amuser. Et de quoi te nourris-tu, pour que nous puissions aussi partager notre goûter?
– Sans vouloir te décevoir, ce que je préfère c’est la salade. Mais surtout sans vinaigrette, ni mayonnaise. Les gâteaux et le chocolat me rendent malade. Mais je veux bien te regarder t’en régaler!
– Parfait! Nous allons donc nous arrêter pour acheter une ou même deux belles salades. Et pour les fois prochaines, je t’en ramènerai de chez grand-mère, qui en cultive de délicieuses. Pour t’accompagner, j’en mangerai aussi. Mais pour moi ce sera avec mayonnaise!
Charlotte sourit alors, le coeur gonflé de bonheur (car, c’est bien connu, les chenilles ont un coeur). Non seulement elles vont passer cet après-midi de superbes moments ensemble et elle va s’initier aux délices de la lecture, mais sa nouvelle amie vient déjà, avec des étoiles dans les yeux, de lui parler des fois prochaines.
Comment by anémone — 16 juillet 2024 @ 19:36
Lisboa, 21 juillet 2024
Ma chère B.,
Qu’elle était belle cette journée-là. Une de celles restées gravées pour toujours dans ma mémoire, jusqu’à son moindre contour.
Papa avait nettoyé son gramophone, avec la minutie d’un chirurgien, obsédé par l’envie de revivre quelques pas de danse avec maman, sous l’air de L’amour est un bouquet de violettes, en souvenir du jour béni où ils se sont rencontrés au bal du village. Il y a presque trente ans. Déjà. Comme le temps s’envole, murmurait papa, en caressant la pochette fatiguée de son 78 tours de Franck Pourcel, le regard enlaçant celui de maman.
Maman, avec un doux sourire de jeune mariée, l’a regardé, amusée, et un zeste malicieuse, a murmuré à son tour « Presque trente ans » avant de poursuivre la lecture des Fleurs du mal. Maman a toujours eu un petit faible pour Baudelaire. L’autre homme de sa vie, comme papa aimait le dire. Je l’entends encore de sa voix limpide murmurer quelques vers du « Chant d’automne » : « J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre, / Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer, / Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre, / Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer. », avec une plénitude d’âme que je n’ai plus jamais retrouvé.
Toi, ma chère B., esclave de ton insouciance, tu promenais ton chariot-chenille, rempli de bouquins pris dans les étagères de maman, en criant, comme les vendeurs à la criée sur les marchés : « Qui veut de mes bouquins… Ils ne sont pas chers… Qui veut des bouquins… Ne perdez pas une belle affaire!..’. » Et cela nous faisait rire. Maman t’excusait de tout. Tu étais si libre. Si insouciante. Si drôle. Tu étais l’image du bonheur, même si j’ignorais encore à quoi pouvait ressembler le bonheur.
Dans le jardin, les millepertuis et les centaurées poussaient heureux et libres par centaines, et il me semblait que toute la grandeur du monde était là. Devant mes yeux. Sans aucune possibilité d’un autre ailleurs. C’était comme un rêve. Doux et paisible. Et je ne voulais pas me réveiller.
Il me vient parfois que tout cela n’est que le fruit des égarements de ma solitude. Rien d’autre. Et même si… Quelle importance?… Puisque je me dis que je m’en souviens. Qu’elle était belle cette journée-là.
Je t’embrasse.
Armando
Comment by Armando — 20 juillet 2024 @ 6:47