Ce que mots vous inspirent 57
Celui qui n’a rien désire peu de choses; celui qui ne commande à personne a peu d’ambition. Mais le superflu éveille la convoitise : plus on obtient, plus on désire. (Jean-Jacques Rousseau)
Il semblerait que la jeune lectrice peinte par Marja Eliase ait eu cette phrase à commenter comme devoir. Et à vrai dire, cela la laisse assez perplexe, car elle n’a aucune idée du sens du mot superflu. Elle a donc décidé de faire appel à vous pour l’aider à voir clair dans cette phrase à saveur philosophique.
Saurez-vous nous dire ce que mots vous inspirent à la lumière de votre réflexion à partir de la phrase de Rousseau? C’est ce que nous saurons la semaine prochaine, puisque je ne validerai aucun commentaire avant mercredi.
Bonne réflexion et que les mots et les idées vous accompagnent!
La petite Sophie est bien sage auprès de sa grand-maman qui coud des rideaux.
Quant à Sophie, elle a le nez plongé dans un livre, puis un autre livre.
Elle est avide de connaître les mots, des mots un peu compliqués. Chaque jeudi, elle va à la bibliothèque municipale avec sa grand-mère et prend deux ou trois livres à la fois. Sophie lit tout le temps. Dans sa chambre, à la cuisine et surtout chez sa grand-mère où elle passe la journée entière du jeudi car elle s’y sent bien.
Sophie s’assied toujours sur le pliant, « son pliant » car sa grand-maman n’a qu’une chaise mais la petite est heureuse ainsi.
Sa grand-maman Edmonde lui mijote tous les jeudis un bon plat. Simple mais très bon. Sophie n’oublie jamais d’emmener avec elle des livres car sa grand-mère fait beaucoup de couture pour des clientes et Sophie, toute heureuse, peut lire. Par moment, elle pose des questions à sa grand-mère qui est toujours disponible pour lui répondre.
Lorsque Sophie est plongée dans son histoire, le regard attendri d’Edmonde se pose sur sa petite-fille.
Elle est sage comme une image et s’intéresse déjà à une multitude de choses. Edmonde est très fière et chaque jeudi, c’est une fête pour toutes les deux. Edmonde habite un petit deux-pièces et trouve que cela lui suffit. Il y aura toujours de la place pour Sophie. Elle peut même dormir chez sa grand-mère car Edmonde a aménagé un lit dans l’alcôve et à l’heure de rejoindre les étoiles, Edmonde lui lit toujours une belle histoire mais la petite s’endort déjà après la deuxième page.
Parfois, Edmonde, créé des robes pour Sophie. Pas avec des tissus de soie, non ! Elle n’en n’a pas les moyens, mais avec des bouts de tissus simples et qui ne coûtent pas très chers ou que certaines clientes lui donnent. Lorsque Edmonde a terminé de confectionner une robe, Sophie l’enfile vite et va se regarder dans le miroir en faisant virevolter sa tenue qui est toujours décorée d’un petit nœud de couleur pour égayer le tissu un peu sombre.
-Nonna…parfois Sophie appelle sa grand-mère ainsi car toute la famille a vécu en Italie avant d’arriver en France…et la petite aimait bien dire Nonna en appuyant fort sur les « nn ».
-Oui, ma chérie, qu’y a-t-il ?
-Nonna, le maître nous a donné un devoir à rendre pour lundi prochain. Il s’agit d’une citation de Jean-Jacques Rousseau : Je te la lis…
« Celui qui n’a rien désire peu de choses; celui qui ne commande à personne a peu d’ambition. Mais le superflu éveille la convoitise : plus on obtient, plus on désire. »
Vois-tu, Nonna, dans cette phrase, il y a deux mots que je ne comprends pas bien !
Le premier est « superflu ». Qu’est-ce le superflu, grand-mère ?
-Ma petite, je vais essayer en quelques mots de t’expliquer.
Tu vois, chez moi, tout est simple, je n’ai pas de meubles luxueux, j’ai une table, une seule chaise et à chaque fois tu dois prendre le pliant, ce qui me désole, crois-moi. Mais voilà, j’ai peu de moyens mais le peu que j’ai me convient. Je n’ai pas de télévision, car ce serait du superflu et si je souhaite connaître les nouvelles du monde, j’ai ma petite radio et le journal que ma voisine me donne après l’avoir lu.
As-tu saisi le sens du mot ?
-Oui Nonna, oui bien sûr ! C’est comme si je voulais porter une robe en dentelle fine pour aller à l’école ? De toute façon, je n’en ai pas.
-Oui Sophie, c’est vouloir obtenir des choses dont on peut très bien s’en passer et on ne s’en porte pas plus mal. Je vois que tu es heureuse lorsque tu viens le jeudi ?
Evidemment, grand-maman. Je suis la plus heureuse des petites-filles. Car toutes les deux, nous pouvons parler, manger ensemble, rire, et tu me laisses libre de lire mes livres.
Tout en disant cela, Sophie s’est levée et a embrassé sa Nonna en mettant ses bras autour de son cou. Edmonde en était toute émue car elle voudrait faire tellement plus pour sa petite-fille…
-Je connais aussi une citation et je vais te la lire :
« Les hommes veulent tout avoir, et ils se rendent malheureux par le désir du superflu. » (Fénélon).
-Merci Nonna, j’ai bien compris et maintenant, au tour du deuxième mot ! Grand-mère c’est le mot « convoitise » !
-Convoitise…Voyons voir ! En peu de mots, c’est envier. Par exemple, je pourrais très bien envier ma voisine car son appartement est plus moderne que le mien et elle a de beaux objets. Mais, je n’en fais rien. Mon appartement me suffit amplement.
-Cette fois, Nonna, j’ai tout compris. Je trouvais ces mots tellement compliqués mais tout est clair maintenant. Merci, grand-maman.
-Tu sais grand-mère, l’autre jour, maman m’a mis un joli nœud rose dans les cheveux et à l’école, j’ai une camarade qui me regarda drôlement. Un peu comme si elle voulait arracher mon nœud ! Je pense qu’elle avait très envie d’avoir le même nœud que moi et devait le trouver très joli…c’est normal, puisque c’est toi qui me l’avait confectionné. Ma camarade convoitait donc mon joli nœud !
Grâce à toi, Nonna, j’ai pu faire mes devoirs. Tu n’as peut-être pas un appartement moderne comme ta voisine mais tu es la plus gentille des grands-mères et tu expliques tellement bien ! Tu en sais des choses…
Comment by Denise — 28 novembre 2008 @ 11:43
Ah ! Mon vieux Jean-Jacques, je vais aller chercher ton vieil ennemi de Ferney qui, dans « Le Mondain », en 1736, te règle ton compte… à l’avance !
C’est long, mais franchement drôle, insolent et provocateur ! A lire par tous les nostalgiques du « bon vieux temps » !! Nos humoristes peuvent en prendre de la graine !!
Regrettera qui veut le bon vieux temps,
Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée, !
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,
Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes moeurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon cœur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L’or de la terre et les trésors de l’onde,
Leurs habitants et les peuples de l’air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
Oh ! le bon temps que ce siècle de fer!
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,
S’en vont chercher, par un heureux échange,
De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans ?
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien ;
Ils étaient nus : et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
Sobres étaient. Ah! je le crois encor:
Martialo n’est point du siècle d’or.
D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève
Ne gratta point le triste gosier d’Eve ;
La soie et l’or ne brillaient point chez eux.
Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.
Quel idiot, s’il avait eu pour lors
Quelque bon lit, aurait couché dehors ?
Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,
Que faisais-tu dans les jardins d’Eden ?
Travaillais-tu pour ce sot genre humain ?
Caressais-tu madame Eve ma mère ?
Avouez-moi que vous aviez tous deux
Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,
La chevelure un peu mal ordonnée,
Le teint bruni, la peau bise et tannée.
Sans propreté l’amour le plus heureux
N’est plus amour, c’est un besoin honteux.
Bientôt lassés de leur belle aventure,
Dessous un chêne ils soupent galamment
Avec de l’eau, du millet, et du gland ;
Le repas fait, ils dorment sur la dure :
Voilà l’état de la pure nature.
Or maintenant voulez-vous, mes amis,
Savoir un peu, dans nos jours tant maudits,
Soit à Paris, soit dans Londres, ou dans Rome,
Quel est le train des jours d’un honnête homme?
Entrez chez lui : la foule des beaux-arts,
Enfants du goût, se montre à vos regards.
De mille mains l’éclatante industrie
De ces dehors orna la symétrie.
L’heureux pinceau, le superbe dessin
Du doux Corrège et du savant Poussin
Sont encadrés dans l’or d’une bordure ;
C’est Bouchardon qui fit cette figure,
Et cet argent fut poli par Germain.
Des Gobelins l’aiguille et la teinture
Dans ces tapis surpassent la peinture.
Tous ces objets sont vingt fois répétés
Dans des trumeaux tout brillants de clartés.
De ce salon je vois par la fenêtre,
Dans des jardins, des myrtes en berceaux ;
Je vois jaillir les bondissantes eaux.
Mais du logis j’entends sortir le maître :
Un char commode, avec grâces orné,
Par deux chevaux rapidement traîné,
Paraît aux yeux une maison roulante,
Moitié dorée, et moitié transparente :
Nonchalamment je l’y vois promené ;
De deux ressorts la liante souplesse
Sur le pavé le porte avec mollesse
Il court au bain : les parfums les plus doux
Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.
Le plaisir presse ; il vole au rendez-vous
Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie ;
Il est comblé d’amour et de faveurs.
Il faut se rendre à ce palais magique
Où les beaux vers, la danse, la musique,
L’art de tromper les yeux par les couleurs,
L’art plus heureux de séduire les cœurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique.
Il va siffler quelque opéra nouveau,
Ou, malgré lui, court admirer Rameau.
Allons souper. Que ces brillants services,
Que ces ragoûts ont pour moi de délices !
Qu’un cuisinier est un mortel divin !
Chloris, Églé, me versent de leur main
D’un vin d’Aï dont la mousse pressée,
De la bouteille avec force élancée,
Comme un éclair fait voler le bouchon;
Il part, on rit ; il frappe le plafond.
De ce vin frais l’écume pétillante
De nos Français est l’image brillante.
Le lendemain donne d’autres désirs,
D’autres soupers , et de nouveaux plaisirs.
Or maintenant, Monsieur du Télémaque,
Vantez-nous bien votre petite Ithaque,
Votre Salente, et vos murs malheureux,
Où vos Crétois, tristement vertueux,
Pauvres d’effet, et riches d’abstinence,
Manquent de tout pour avoir l’abondance :
J’admire fort votre style flatteur,
Et votre prose, encor qu’un peu traînante ;
Mais, mon ami, je consens de grand coeur
D’être fessé dans vos murs de Salente,
Si je vais là pour chercher mon bonheur.
Et vous, jardin de ce premier bonhomme,
Jardin fameux par le diable et la pomme,
C’est bien en vain que, par l’orgueil séduits,
Huet, Calmet, dans leur savante audace,
Du paradis ont recherché la place :
Le paradis terrestre est où je suis.
Voltaire
Belle profession de foi !!
Comment by Reine — 1 décembre 2008 @ 15:35