
J’avais 19 ans. Je faisais mes premiers pas dans le monde du livre. La librairie était minuscule, un vrai mouchoir de poche. Il y avait des livres jusqu’au plafond, parfois dans tous les sens tellement l’espace était restreint. Et de plus, le mari de la propriétaire était éditeur et bien entendu, nous avions sur les rayons tous ses livres et plusieurs exemplaires de chacun d’entre eux. Pas qu’ils se vendaient comme des pains chauds, loin de là, mais une librairie avec beaucoup de livres, c’est tout de même plus invitant que des rayons dégarnis.
C’était aussi ma première année à l’université. Je connaissais les grands auteurs, déjà. Plus de nombreux autres, il va sans dire. Et je connaissais de la poésie québécoise les grandes lignes, les mouvements littéraires, les auteurs majeurs. Assez pour me débrouiller sans avoir l’air tout à fait inculte.
Ce n’est pas sur les bancs des salles de cours et des auditoriums que j’ai développé mon goût pour celle-ci. Elle ne s’enseignait pas, tout simplement. C’est dans cette petite librairie excentrée, dans une banlieue-dortoir, qu’elle est venue à moi.
Je ne remercierai jamais assez celui qui m’a guidée. Celui qui, chaque jeudi, venait voir les nouveaux titres parus chez les éditeurs de poésie et qui achetait tout. Non sans me parler de chacun de ceux qui publiaient régulièrement et que je ne connaissais pas encore. Non sans me parler des voix nouvelles. Et avant qu’il n’arrive, à la même heure chaque semaine, je me précipitais sur les titres, les examinais, tournais les pages, lisais quelques vers.
Le professeur de français à la retraite qu’il était avait trouvé en moi une nouvelle élève. Passionnée et avide. Et dès le lundi, j’attendais impatiemment le jeudi. J’allais connaître l’émerveillement propre aux enfants dans un magasin de bonbons.
*dessin d’Helen Frank