Lali

5 mai 2008

Anecdotes de libraire 13

Filed under: Anecdotes de libraire,Couleurs et textures — Lali @ 6:03

kushnir

Que fait une ex-libraire quand elle va dans une librairie? Vous avez une idée? Vous voulez que je vous le dise? Elle va de rayon en rayon et… Oui, c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle replace certains livres qui ne sont pas tout à fait dans l’ordre alphabétique espéré. Je sais, je sais, ne me le dites pas. C’est un peu fou… Mais on n’oublie pas comme ça 25 ans de sa vie.

*toile d’Andrei Kushnir

2 mai 2008

Anecdotes de libraire 12

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gretchen_b 3

Je ne les ai jamais comptés. Les rayons étaient pleins, ça débordait de partout, et j’étais comme un poisson dans l’eau, sachant la plupart du temps où le moindre livre était rangé.

Et puis l’ordinateur avec son inventaire en continu les comptait pour moi. Entrées et sorties. Inventaire et en processus de retour. Alors, pourquoi les aurais-je comptés? J’étais libraire, pas comptable.

Pourtant, un jour, quelqu’un m’a posé la question. Vous avez combien de livres ici? Je préférais les titres tordus, les auteurs aux noms massacrés, les descriptions de couvertures. Et les anecdotes. Mais combien?

Non, décidément je ne savais pas. La colle du jour était vraiment une colle. Et à quoi bon savoir qu’il y avait 20 000 titres en inventaire, dites-moi?

Je savais où ils étaient, c’est tout ce qui comptait.

C’est parce que je voudrais écrire dans une lettre ouverte aux lecteurs que dans une librairie qui compte pourtant X nombre de titres, il n’y a pas celui que je cherche depuis 20 ans.

-Mais si vous me disiez de quel titre il s’agit…
-Je vous dis que je le cherche depuis 20 ans…
-Mais encore… Si vous me disiez?

Il a murmuré le titre du bout des lèvres. Un titre qu’il avait bien déformé. Si bien déformé qu’il avait cherché pendant 20 ans un titre qui n’existait pas et que je lui ai tendu avec un large sourire.

*toile de Gretchen Butler

25 avril 2008

Anecdotes de libraire 11

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marsans

Je vivais dans la nouveauté, dans les nouveaux titres qui poussaient sur les « anciens » qui avaient quatre ou cinq mois d’existence. Dans un monde qui va trop vite et qui ne laisse pas le temps aux livres de vivre. C’est probablement pourquoi j’aimais tant me réfugier les jours de congé dans les librairies d’occasion.

Ce que je fais d’ailleurs, encore. Pour voir ce qui résiste au temps. Pour constater quels livres voyagent. Pour la différence, aussi. Car les librairies de livres neufs finissent par toutes se ressembler avec les mêmes piles de l’une à l’autre. Pour la personnalité de certaines librairies d’occasion où la sélection du propriétaire est manifestement liée à ses propres goûts.

Si d’aventure un jour il me venait l’envie pour mes vieux jours de retourner à ce métier qui a été le mien pendant un quart de siècle, je suis certaine d’une seule chose. Je ne vendrais pas de livres neufs. Et si c’était le cas, je pratiquerais dans un petit local avec des fauteuils et du café. Et je ne demanderais pas à quiconque ce qu’il cherche. Je laisserais les uns et les autres trouver…

*toile de Luis Marsans

21 avril 2008

Anecdotes de libraire 10

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helen frank

J’avais 19 ans. Je faisais mes premiers pas dans le monde du livre. La librairie était minuscule, un vrai mouchoir de poche. Il y avait des livres jusqu’au plafond, parfois dans tous les sens tellement l’espace était restreint. Et de plus, le mari de la propriétaire était éditeur et bien entendu, nous avions sur les rayons tous ses livres et plusieurs exemplaires de chacun d’entre eux. Pas qu’ils se vendaient comme des pains chauds, loin de là, mais une librairie avec beaucoup de livres, c’est tout de même plus invitant que des rayons dégarnis.

C’était aussi ma première année à l’université. Je connaissais les grands auteurs, déjà. Plus de nombreux autres, il va sans dire. Et je connaissais de la poésie québécoise les grandes lignes, les mouvements littéraires, les auteurs majeurs. Assez pour me débrouiller sans avoir l’air tout à fait inculte.

Ce n’est pas sur les bancs des salles de cours et des auditoriums que j’ai développé mon goût pour celle-ci. Elle ne s’enseignait pas, tout simplement. C’est dans cette petite librairie excentrée, dans une banlieue-dortoir, qu’elle est venue à moi.

Je ne remercierai jamais assez celui qui m’a guidée. Celui qui, chaque jeudi, venait voir les nouveaux titres parus chez les éditeurs de poésie et qui achetait tout. Non sans me parler de chacun de ceux qui publiaient régulièrement et que je ne connaissais pas encore. Non sans me parler des voix nouvelles. Et avant qu’il n’arrive, à la même heure chaque semaine, je me précipitais sur les titres, les examinais, tournais les pages, lisais quelques vers.

Le professeur de français à la retraite qu’il était avait trouvé en moi une nouvelle élève. Passionnée et avide. Et dès le lundi, j’attendais impatiemment le jeudi. J’allais connaître l’émerveillement propre aux enfants dans un magasin de bonbons.

*dessin d’Helen Frank

19 avril 2008

Anecdotes de libraire 9

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boersma 4

boersma 2

boersma 3

boersma 6

On dira ce qu’on voudra. Un lecteur du samedi n’est pas un lecteur de semaine. Il fait son arrêt à la librairie hebdomadairement. À la fin de l’avant-midi s’il est lève-tôt, mais bien plus souvent l’après-midi, quand il aura épluché les critiques des journaux. Il arrivera avec l’article soigneusement découpé. Il ira de rayon en rayon pour trouver le titre lui-même. Mais ce qui le différencie du lecteur de semaine, c’est qu’il a le temps. Ou qu’il le prend. De flâner, de se laisser guider par le hasard d’un titre, de discuter. Jamais, me semble-t-il, n’ai-je vu des gens qui ne se connaissaient pas discuter bouquins entre eux parce qu’ils auront capté des bribes de conversation.

J’aimais les samedis à la librairie. J’aimais la clientèle particulière du samedi. J’aimais regarder ceux qui s’attardaient. Comme dans les toiles de Gerard Boersma.

17 avril 2008

Anecdotes de libraire 8

Filed under: Anecdotes de libraire,Couleurs et textures — Lali @ 7:54

ewart 2

Il venait tous les vendredis. Et s’il ne pouvait venir, il m’appelait pour me dire qu’il ne viendrait pas. J’étais sa mémoire. Je savais ce que sa femme aimait. Je savais ce qu’il lui avait acheté dans la dernière année et je l’empêchais d’acheter deux fois le même livre. Il faut dire qu’il ne lisait pas. Son dada, c’était le modélisme. Il pouvait travailler des heures à monter des avions, à construire des villages autour d’une gare, à poser un à un les mâts et les voiles d’un bateau miniature. Et il en parlait avec une telle passion que je souriais. J’aime voir les gens heureux, je n’y peux rien.

A-t-il trouvé quelqu’un qui retienne les titres qu’il achète? Y a-t-il quelqu’un qui ait pris le temps de téléphoner à sa femme parce qu’elle ne peut se déplacer pour connaître ses goûts? Ou va-t-il de librairie en librairie cherchant celui ou celle à qui il demandera Je vous dérange? et qui lui répondra en souriant Le jour où personne ne me dérangera, je fermerai boutique.

Souhaitons qu’il n’en soit pas ainsi et que le jour où il a franchi la porte de la librairie peinte par Michael Ewart, il ait trouvé le sourire qu’il attendait.

15 avril 2008

Anecdotes de libraire 7

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dorothee_r

Ce qu’il y a de fascinant dans la vie de libraire, c’est cette certitude qu’ont les gens : les libraires savent tout. Qui est l’écrivain dont il est question dans la grille des mots croisés du samedi. Les auteurs de toutes les citations dont ils ignorent la fin. Comment on écrit palimpseste. Les noms de tous les lauréats des prix Nobel de littérature et l’année où ils l’ont remporté.

Et si ces certitudes font sourire, il en est tout de même une qui fait grincer des dents. Et qui est quasi quotidienne. Vous n’auriez pas le numéro de téléphone de la libraire sur le boulevard des Écrivains? Eux ils doivent l’avoir.

*sur une toile de Dorothee Roberts

14 avril 2008

Anecdotes de libraire 6

Filed under: Anecdotes de libraire,Couleurs et textures — Lali @ 7:44

sung kim

Vous n’avez pas d’exemplaire du Goncourt? Et vous ne savez pas quand vous allez en avoir? Et comment ça se fait?

Oui, comment se fait-il qu’en cet octobre de 1984 les douaniers montréalais soient si zélés? Si zélés qu’ils ont mis de côté 5000 exemplaires de L’amant de Marguerite Duras le temps que quelqu’un lise le livre, analyse le contenu et décrète qu’il ne s’agit pas là de littérature pornographique.

Vrai de vrai!

Et au même moment, je ne vous dis pas ce qu’on peut trouver dans les maisons de la presse (vous devinerez aisément) alors que les petites librairies comme celle peinte par Sung Kim attendent leur arrivage qui va leur permettre d’arrondir leur mois et de payer les fournisseurs.

11 avril 2008

Anecdotes de libraire 5

Filed under: Anecdotes de libraire,Couleurs et textures — Lali @ 9:44

kc

Il fut une époque où on me repérait au son. Et pas n’importe quel son. Bing-badaboum. Ou quelque chose qui ressemble à ça. Le son de livres qui s’effondrent. Tantôt d’une pile déposée en catastrophe pour servir un client. Tantôt de mes bras surchargés parce que je tente de faire une place sur une tablette. Bing-badaboum.

Juste ce son à intervalles réguliers faisait qu’on ne perdait pas ma trace. S’il y avait un bing-badaboum, je ne devais pas être loin de l’endroit où il avait été entendu. Parfois assise en indien en train de scruter une tablette du bas, tentant l’impossible : glisser quelque part tous ces nouveaux livres que j’avais transportés de peine et de misère. Parfois à genoux, la tête ne dépassant pas, bien évidemment, aux prises avec le même défi. Où allais-je bien ranger tout ça sans que ça ne fasse désordre ou fouillis?

Bing-badaboubouboum. Petite variante pour faire changement dans l’uniformité de la partition des livres qui s’écrasent. Je viens de rater la marche de la section jeunesse et de m’allonger avec la pile. Non, non, ne vous précipitez pas, ça va. Mais personne ne se précipite. On a encore cru que quelques livres étaient tombés. Pareil quand j’ai déboulé l’escalier de haut en bas les bras pleins.

Curieusement, je n’échappe plus rien, même si je m’étale toujours régulièrement. Petites traces d’une vie d’avant. Sans piles autres que celles que je promène de la chambre au bureau, du bureau au salon et du salon à la chambre. Des piles qui ont des airs de celles de Kritsana Chaikitwattana.

7 avril 2008

Anecdotes de libraire 4

Filed under: Anecdotes de libraire,Couleurs et textures — Lali @ 7:39

quarterman

Bien sûr, il y a les titres déformés. Les noms des auteurs tout autant massacrés. C’est le quotidien du libraire.

Mais il y a aussi et c’est peut-être là le plus important : le lien qui se crée entre le libraire et le client. Celui qui fait que le client ne dit plus « Je vais à la librairie » mais « Je vais voir mon libraire », comme on va chez un ami. Et c’est là le cadeau de cette profession. Les échanges, la confiance, et parfois même, l’amitié.

Une forme de complicité qui se vit sur place, mais aussi en dehors des murs. Celle qui commence par un conseil. Celle qui se continue parce que le conseil a été judicieux ou opportun. Celle qui donne au client l’envie de ne plus aller ailleurs que là, dans cette librairie peinte par Chase Quarterman.

Cette complicité qui devient peu à peu de l’amitié. Rare mais précieuse. Et si tandis que je pense à tout ce qui s’est noué tandis que j’étais encore libraire, je pense à une personne en particulier, il ne peut en être autrement. De chaque vie, on retient un épisode ou une personne.

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