Lali

Voilà trois fois que je vais à la bibliothèque en apportant ma liste sur laquelle il y a toujours un livre qui est supposément sur les rayons et qui n’y est pas, même depuis le grand rangement de la section Romans qui aurait dû le faire réapparaître. C’est donc signe que quelqu’un l’a si bien déplacé qu’il sera retrouvé un jour sur un autre étage, dans un rayon moins visité. Comment puis-je être certaine de ça? Parce que quiconque a passé un quart de siècle de sa vie dans une librairie connaît le petit manège de certains lecteurs qui dissimulent ailleurs l’exemplaire unique qu’ils ne sont pas décidés à acheter ce jour-là. Question de le retrouver quand ils repasseront. Si bien sûr ils l’ont caché dans un rayon de la librairie assez stable, offrant peu de nouveautés qui demanderaient un constant réaménagement des tablettes!

*toile de Patrick Hughes

On pourrait appeler cette expérience le « jeu du libraire ». Un jeu tout simple, mais qui donne un indice sur la qualité d’une librairie et les connaissances de ceux qui y travaillent. Il suffit pour cela de chercher Le grand Meaulnes. S’il est dans les F, vous avez affaire à des vendeurs de livres, s’il est dans les A à des libraires. Au deux endroits, ou à un personnel négligent, ou à des libraires qui ont le sens des affaires sachant que la plupart des gens ignorent qu’il y a un trait d’union entre Alain et Fournier. Le parfait libraire indiquerait « Vous trouverez Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier dans les A ».

*toile de Raymond Thériault

On m’a tellement fait le coup des titres approximatifs que je suis devenue une cliente exemplaire maintenant que me voilà depuis presque quatre ans de l’autre côté de la clôture. C’est ce que je me disais lundi quand j’ai téléphoné à la librairie que je fréquente pour commander un titre. Bien sûr, j’avais le titre exact, le nom des auteurs, celui de la maison d’édition, l’année de publication et le numéro d’ISBN. J’avais même vérifié sur le site de l’éditeur et sur celui du distributeur si le titre était toujours disponible.

Ça vous fait sourire? Il n’y a pas que vous, je crois que le libraire que j’ai eu au bout du fil souriait aussi!

*toile de Dean Mitchell

Quand maman a voulu replacer la pile de livres qu’elle avait dans les mains, après avoir consulté quelques titres, alors que nous furetions un peu avant d’aller au cinéma, je n’ai pu m’empêcher de lui retirer la pile pour le faire moi-même. Ça a été plus fort que moi. J’ai tant classé des livres dans ma vie que c’est, je crois, devenu une seconde nature. Je ne dirais pas que ça se fait les yeux fermés – il ne faut pas exagérer -, mais ça se fait presque à mon insu tant le geste est mécanique après toutes ces années de pratique.

En moins de deux, les livres étaient à nouveau classés par ordre alphabétique, comme avant les « déplacements » de maman pour qui j’ai choisi dans un autre rayon une biographie des Romanov. Je crois que la libraire a souri.

*toile de Lai Kitcheung

Une écrivaine est morte. Elle avait 35 ans et se serait suicidée. Elle s’appelait Nelly Arcan. Et chacun y va de ses impressions, de ses commentaires. Chacun cherche dans ses livres, dans ses écrits ailleurs, dans les entrevues qu’elle a données des signes. Et tous s’accordent à dire que cela devait arriver, que c’était là l’épée de Damoclès posée sur la tête de la jeune femme hantée par la beauté et par la mort.

La libraire que je suis se rappelle ce que chacune de ses apparitions télévisuelles provoquait. Les gens achetaient Putain ou Folle, pour s’assurer que Nelly Arcan ressemblait à ses livres, pour voir s’ils étaient ou non une copie conforme de l’image médiatique qu’elle avait créée de toutes pièces, tout comme l’avait fait avant elle Amélie Nothomb.

Et des livres, elle en a vendus. Beaucoup. Et il s’en vendra encore davantage ces prochaines semaines, alors que son suicide continuera de susciter articles ici et là. Parce que Nelly Arcan c’était Nelly Arcan, une mine d’or pour les libraires.

*toile de Patrick Howe

Je me demande toujours quand vient septembre le but d’une rentrée littéraire. N’est-ce pas pour les auteurs une façon d’être noyés dans la masse? Rien à faire, je suis toujours triste pour ceux qui publient en cette saison, particulièrement les auteurs dont c’est le premier livre, lequel a de fortes chances de passer inaperçu au milieu des « canons » de la rentrée, sauf si un critique ou un libraire, ou les deux, décident de le mettre en valeur pour quelque obscure raison.

Quel est donc la raison de cet entêtement? Je n’en vois qu’une : la course aux prix littéraires… Hélas. Car pour moi, ce n’est pas une bonne raison. Et je serai toujours triste pour ces livres qui seront écartés, parce qu’un éditeur a absolument voulu les publier en septembre.

*toile de Stephen Magsig

Certaines personnes aiment lire des histoires vraies. Des histoires tristes, où un malheur n’attend pas l’autre. Enfants battus, femmes violées, épouse d’un tueur à gages, travestis, et j’en passe, tous ont ce besoin un jour ou l’autre d’étaler leur passé au grand jour. Pour se libérer de tout ça ou parce qu’ils voient là une façon de faire de l’argent, quitte à mettre deux trois couches de plus pour faire pleurer dans les chaumières?

Qui des deux est le pire, celui qui décide de publiciser sa vie difficile ou celui qui s’en délecte? Je n’ai pas la réponse, mais je sais que nombre de gens ne lisent que ces histoires vraies dont parlent abondamment tous ces magazines qu’on trouve dans les salons de coiffure. Pour se convaincre que leur vie n’a pas été si difficile que ça? Va savoir.

Moi, je sais que quand une de mes voisines m’a raconté jeudi dernier que le père de ses deux plus jeunes était en prison parce qu’il avait abusé de son aînée (âgée de 12 ans), il me fallait en rentrant me plonger dans bien autre chose qu’une histoire vraie.

*toile de Nigel Van Wieck

Je sais que les sous-produits liés à des livres pour enfants sont supposément « rentables ». Mais j’avoue que ça m’a toujours agacé de vendre des poupées Caillou, des figurines Schtroumpfs, des épinglettes Tintin, des signets du Petit prince, des carnets Mafalda, etc. Serais-je donc une puriste pour vouloir établir une différence entre un libraire et un boutiquier?

*toile de Robert Rafailovich Falk

Une vitrine n’est pas juste un étalage. Une vitrine est une porte d’entrée, elle donne un aperçu de ce qu’on trouvera à l’intérieur. Il importe donc qu’elle soit attirante et qu’elle ne ressemble pas à toutes les autres. C’est donc pourquoi, quand il était temps de choisir les livres qui auraient leurs semaines de gloire, je m’appliquais à sélectionner les incontournables afin d’annoncer leur arrivée en librairie. Et quand cela était fait, le vrai plaisir commençait. Inventer des histoires, les faire se dérouler sous les yeux du passant. Quelques livres de jardinage menant à des livres de cuisine d’été, suivi par des romans, des nouvelles ou des essais,qui avaient dans leur titre un mot qui pouvait évoquer d’une façon ou d’une autre l’art de a table… Des livres portant sur la décoration intérieure, suivis de livres sur l’architecture, sur Montréal, de guides de voyages pour choisir une seule destination finale, des titres de fiction qui auraient cette destination comme toile de fond… Une fois de plus, j’inventais des histoires…

*toile d’Evhe Walscheid

Toute ma vie de libraire, j’aurai eu ce rêve qui ne s’est jamais réalisé, soit celui d’une section complète consacrée à la poésie, réunissant les recueils de poètes connus comme les premiers livres de certains que j’aurais eu plaisir à faire découvrir. « La poésie ne se vend pas » me disait mon patron qui ne m’a jamais laissé la chance de tenter l’expérience. Et pourtant… Si elle ne se vend pas, il y a peut-être une raison toute bête à ça : elle n’est tout simplement pas visible. Or, il faut des rêveurs qu’on ne freinera pas pour changer les choses. Mais y en a-t-il encore?

*toile d’Elena Alexandrovna Beloca-Romanova