Lali

2 octobre 2016

Un dimanche avec Heredia 8

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 16:01

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Fleur séculaire

Sur le roc calciné de la dernière rampe
Où le flux volcanique autrefois s’est tari,
La graine que le vent au haut Gualatieri
Sema, germe, s’accroche et, frêle plante, rampe.

Elle grandit. En l’ombre où sa racine trempe,
Son tronc, buvant la flamme obscure, s’est nourri;
Et les soleils d’un siècle ont longuement mûri
Le bouton colossal qui fait ployer sa hampe.

Enfin, dans l’air brillant et qu’il embrase encor,
Sous le pistil géant qui s’érige, il éclate,
Et l’étamine lance au loin le pollen d’or;

Et le grand aloès à la fleur écarlate,
Pour l’hymen ignoré qu’a rêvé son amour,
Ayant vécu cent ans, n’a fleuri qu’un seul jour.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de Franz von Defregger

Un dimanche avec Heredia 7

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 14:01

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Bretagne

Pour que le sang joyeux dompte l’esprit morose,
Il faut, tout parfumé du sel des goëmons,
Que le souffle atlantique emplisse tes poumons;
Arvor t’offre ses caps que la mer blanche arrose.

L’ajonc fleurit et la bruyère est déjà rose.
La terre des vieux clans, des nains et des démons,
Ami, te garde encor, sur le granit des monts,
L’homme immobile auprès de l’immuable chose.

Viens. Partout tu verras, par les landes d’Arèz,
Monter vers le ciel morne, infrangible cyprès,
Le menhir sous lequel gît la cendre du Brave;

Et l’Océan, qui roule en un lit d’algues d’or
Is la voluptueuse et la grande Occismor,
Bercera ton cour triste à son murmure grave.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de Linda Carter Holman

Un dimanche avec Heredia 6

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 12:01

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Un peintre

Il a compris la race antique aux yeux pensifs
Qui foule le sol dur de la terre bretonne,
La lande rase, rose et grise et monotone
Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.

Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs,
Il a vu, par les soirs tempétueux d’automne,
Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne;
Sa lèvre s’est salée à l’embrun des récifs.

Il a peint l’Océan splendide, immense et triste,
Où le nuage laisse un reflet d’améthyste,
L’émeraude écumante et le calme saphir;

Et fixant l’eau, l’air, l’ombre et l’heure insaisissables,
Sur une toile étroite il a fait réfléchir
Le ciel occidental dans le miroir des sables.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de Nikolai Yakolevich Belyaev

Un dimanche avec Heredia 5

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 10:01

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La sieste

Pas un seul bruit d’insecte ou d’abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d’émeraude.

Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s’allonge et se croise à travers l’ombre chaude.

Vers la gaze de feu que trament les rayons,
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu’enivrent la lumière et le parfum des sèves;

Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d’or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j’emprisonne mes rêves.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de Marc Aryan

En vos mots 495

Filed under: Couleurs et textures,En vos mots — Lali @ 8:00

oga-kazuo

Mais à qui donc est cette bibliothèque dont les rayons débordent? À vous? À quelqu’un que vous connaissez? À une personne que vous aimeriez rencontrer? À vous de nous raconter en vos mots les secrets de cette bibliothèque peinte par Kazuo Oga.

Aucun texte ne sera validé avant dimanche prochain, ce qui vous laisse amplement le temps d’écrire quelques lignes, car tel est le défi proposé par EN vos mots, dimanche après dimanche.

D’ici là, bonne semaine et bon dimanche à tous!

Un dimanche avec Heredia 4

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 6:01

anderson-j-gordon

La centauresse

Jadis, à travers bois, rocs, torrents et vallons,
Errait le fier troupeau des Centaures sans nombre;
Sur leurs flancs le soleil se jouait avec l’ombre;
Ils mêlaient leurs crins noirs parmi nos cheveux blonds.

L’été fleurit en vain l’herbe. Nous la foulons
Seules. L’antre est désert que la broussaille encombre;
Et parfois je me prends, dans la nuit chaude et sombre,
À frémir à l’appel lointain des étalons.

Car la race de jour en jour diminuée
Des fils prodigieux qu’engendra la Nuée,
Nous délaisse et poursuit la Femme éperdument.

C’est que leur amour même aux brutes nous ravale;
Le cri qu’il nous arrache est un hennissement,
Et leur désir en nous n’étreint que la cavale.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de J. Gordon Anderson

Un dimanche avec Heredia 3

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 4:01

di-cosimo-piero

Soleil couchant

Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l’âpre sommet que le couchant allume;
Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.

A mes pieds c’est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
À la vaste rumeur de l’Océan s’unit.

Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.

L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d’or de son rouge éventail.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de Piero di Cosimo

Un dimanche avec Heredia 2

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 2:01

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Armor

Pour me conduire au Raz, j’avais pris à Trogor
Un berger chevelu comme un ancien Évhage;
Et nous foulions, humant son arôme sauvage,
L’âpre terre kymrique où croît le genêt d’or.

Le couchant rougissait et nous marchions encor,
Lorsque le souffle amer me fouetta le visage;
Et l’homme, par-delà le morne paysage
Étendant un long bras, me dit : Senèz Ar-Mor!

Et je vis, me dressant sur la bruyère rose,
L’Océan qui, splendide et monstrueux, arrose
Du sel vert de ses eaux les caps de granit noir;

Et mon cœur savoura, devant l’horizon vide
Que reculait vers l’Ouest l’ombre immense du soir,
L’ivresse de l’espace et du vent intrépide.

José-Maria de Heredia, Les trophées

*toile de Rosa Comelles

Un dimanche avec Heredia 1

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 0:01

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C’est un 2 octobre, il y a 111 ans exactement, que s’est éteint le poète José-Maria de Heredia. Ce qui a donné l’idée aux personnages peints par Françoise Collandre de réunir quelques lecteurs afin de lire des poèmes tirés de son seul recueil, Les trophées.
En commençant par celui-ci :

Mer montante

Le soleil semble un phare à feux fixes et blancs.
Du Raz jusqu’à Penmarc’h la côte entière fume,
Et seuls, contre le vent qui rebrousse leur plume,
A travers la tempête errent les goélands.

L’une après l’autre, avec de furieux élans,
Les lames glauques sous leur crinière d’écume,
Dans un tonnerre sourd s’éparpillant en brume,
Empanachent au loin les récifs ruisselants.

Et j’ai laissé courir le flot de ma pensée,
Rêves, espoirs, regrets de force dépensée,
Sans qu’il en reste rien qu’un souvenir amer.

L’Océan m’a parlé d’une voix fraternelle,
Car la même clameur que pousse encor la mer
Monte de l’homme aux dieux, vainement éternelle.

1 octobre 2016

Les vers de Nikolai 2

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 23:59

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Nous ne sommes même pas au monde mais
Quelque part dans la sordide arrière-cour du monde,
Lourd d’indolence, l’été feuillette
Les pages bleues des jours de clarté.

Consciencieusement et fruste, la pendule,
Fiancée secrète mais invincible du temps,
Saisit les secondes qui conspirent
Et leur tranche joliment la tête.

Ici, chaque route est si poussiéreuse,
Chaque buisson si obstiné contre la sécheresse
Qu’aucun blanc séraphin ne viendra à nous,
Menant par la bride une licorne.

Et seul ton chagrin caché, mon aimée,
M’est un opium de feu qui peut enrayer
La malédiction de cet endroit perdu
Comme la brise d’un lointain pays.

Là où tout est lumière et mouvement,
Où tout est chant, c’est là qu’est notre vie.
Il n’y a ici, dans cette citerne d’eau croupie,
Que notre reflet emprisonné.

Nikolai Goumelev, Poèmes

*choix de la lectrice signée Herbert Muckenschnabl

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