Lire en marchant
Est-ce une opération risquée et périlleuse? Pas si Armando nous surveille au moyen de son appareil photo!
Est-ce une opération risquée et périlleuse? Pas si Armando nous surveille au moyen de son appareil photo!
Ne déprécie pas la tortue à cause de son humilité, il se peut qu’elle te guide demain. (Proverbe ovambo)
*illustration d’Eulalia Cornejo
commentaire XXXV
feuille au soleil que tu es/
je nais de toi/par toi je marche/
pousse comme feuille du monde
tout humide de la nuit que
tu laisses derrière/soleil
qui t’en vas de l’autre côté
du ciel que tu entraînes comme
planète aveugle autour de toi/
douceur ouverte comme toi/
soleil mien/de soleil aveugle/
comme chaleur tienne/monde où
tu éteins ma soif par la soif
Juan Gelman, L’opération d’amour
*choix de la lectrice de Sepp Hilz
« On ne voit dans la nuit que ce que les mains peuvent toucher. »
À elle seule, cette phrase résume peut-être la poésie de ce premier et très beau roman signé Naomi Fontaine, native d’Uashat, village à qui elle dédie Kuessipan, qui signifie en français « À toi » ou « À ton tour ».
Or, c’est à son tour de raconter ce pays d’où elle vient et ceux qui l’habitent dans ce que l’auteure elle-même appelle un roman, que certains critiques appellent un récit, et que j’appellerai roman parce que c’est le choix de cette toute jeune femme de 23 ans qui étudie à Québec, si bien que pour les siens elle est la fille de Québec et pour ceux qui étudient avec elle, l’innue.
Comme le roman traite à la fois de racines et de déracinement, de ce peuple qui est le sien, de ce qui est et demeurera immuable, de la beauté du paysage, des traditions, de la difficulté de vivre des uns, de la tristesse des autres, des gestes du quotidien, c’est au moyen de tableaux que Naomi Fontaine a choisi de raconter des scènes, des épisodes, des habitudes, des gens. Des tableaux superbes et tout en finesse malgré la dureté du climat, malgré l’alcool qui brise des vies et le fait que des jeunes filles accouchent à quinze ans.
Il y a quelque chose d’attachant dans ces histoires en plus des images qui se déploient comme autant d’aurores boréales et de larmes. Il y a là une envie de rébellion qui s’oppose à une force de stagnation encore plus grande.
Le résultat est un roman exceptionnel, troublant, empreint de sagesse, qui devrait toucher le moindre lecteur qui s’aventurera à le lire. Kuessipan annonce déjà la naissance d’une écrivaine qu’il faudra surveiller de près.
Titre pour le Défi Premier Roman 
J’avais huit mois, à quatre jours près. Je ne marchais pas encore, mais je babillais. Mais de cette journée, je n’ai aucun souvenir. Je n’ai que ceux de maman qui, ce jour-là, portait une robe d’été : il faisait 30 degrés sur Montréal il y a 50 ans.
Ce 12 avril 1962, mes parents emménageaient dans leur première maison. Ils y habitent toujours. Et chaque pièce de cette maison recèle de souvenirs dont j’ai choisi de conserver les plus heureux. Et à l’heure où je pense à cette maison où j’ai vécu près de la moitié de ma vie, je revois mes grands-parents qui ont vécu avec nous. J’entends leurs voix. Puis montent en moi des bouffées de tendresse pour eux qui ont fait de leur petite-fille une enfant choyée et aimée, tellement aimée.
Monte en moi l’odeur de la confiture de fraises. Me revient ma trousse de médecin avec laquelle j’examinais mon grand-père. Ma cuisinière où nous avons fait cuire d’immondes gâteaux aux cerises ma sœur et moi. Les chaises longues qu’on installait sous le saule qui a dû être coupé depuis pour lire sous son feuillage trois saisons sur quatre. Le piano duquel maman faisait surgir Mozart, Brahms, Beethoven qui nous berçaient. La table à café qui n’a pas bougé, autour de laquelle papa nous a promenées sur son dos et sur laquelle nous étalions nos cahiers en écoutant des musiques de partout.
Me revient en mémoire ma première chambre, celle que je partageais avec ma sœur avant le décès de mes grands-parents. Puis celle peinte en lilas, mon lit où ma chienne Milkie prenait plus de place que je n’en prenais. Les matchs de hockey à la télé avec mon grand-père. Les repas de Noël autour de la table ronde que j’ai transformée en table de travail. Le manteau à carreaux de mes quatre ans. Les bancs de neige plus hauts que moi.
Et puis, la bibliothèque du salon où étaient rangées les encyclopédies aux illustrations que je pouvais admirer pendant des heures avant que je n’apprenne à lire. Et pas juste les admirer, ce qui a fait hurler mon grand-père, qui n’a pas tardé à me montrer à lire afin que je n’ampute plus les livres.
Et puis, mes premiers livres. Mon premier dictionnaire illustré. Les titres de la comtesse de Ségur. Le club des 5, le clan des 7, les enquêtes de la détective Alice Roy, le Journal d’Anne Frank, les romans d’Agatha Christie. Tant et tant de livres lus dans cette maison pendant le presque quart de siècle où elle a été la mienne. Trois fois plus de livres lus ailleurs dans des appartements, des trains, des parcs, des bibliothèques.
Tant de livres lus. Mais une seule maison. Celle où j’ai grandi.
*toile d’Amy Whitehouse
Il ne reste plus une miette du folar da Páscoa, cette brioche de Pâques portugaise, dont je me suis régalée chaque matin depuis dimanche. Plus une miette. Mais si ça me manque trop, et s’il vous tente d’en savoir plus, l’histoire et la recette se trouvent ici (en portugais).
commentaire XXX
comme une bûche devenant
flamme de toi/tout investi
par toi/feu de toi/l’âme
monte jusqu’à toi/ou palais
que mouille ta salive comme
rosée de tendresse/ou
noce solaire de ta salive
changeant en pierre la parole
Juan Gelman, L’opération d’amour
*choix de la lectrice de William John Hennessy
Je me rappelle avoir beaucoup aimé La corde au ventre et Instants de vérité de Lise Lacasse. Je me souviens aussi d’une entrevue que j’avais réalisée avec elle pour Écriture d’ici et d’un repas à Verdun du temps de ma vie de libraire.
C’est donc avec enthousiasme que j’ai ouvert le plus récent roman de Lise Lacasse, Pour qui tu te prends, ma fille? Mais c’est hélas! avec beaucoup de déception que je l’ai fermé 300 pages plus tard; de plus avec la nette impression d’avoir lu un brouillon tant le livre est mal bâti quoique bien écrit.
Alors que la narratrice s’est appliquée à nous raconter l’histoire d’une fillette qui perd sa mère en 1950, et ce de façon chronologique, celle-ci fait basculer les choses vers la moitié du roman et retourne à certains détails pour fignoler ou préciser ceux-ci, mais de telle manière qu’on n’y comprend plus rien, qu’on fait face à de nombreuses incongruités et qu’on se demande pourquoi tout ceci arrive après coup.
J’ai donc été horriblement déçue par le roman de Lise Lacasse qui ne tient pas à la route et auquel l’éditeur ne semble pas avoir consacré une minute. S’il l’avait fait, il aurait aidé l’auteure à revoir la construction, à en faire quelque chose de linéaire plutôt que ce fouillis. De plus, on sent que l’auteure s’est inspirée d’éléments qu’elle a volontairement transformés avec plus ou moins de succès, car on ne croit pas ni aux personnages, ni à l’histoire.
Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe. Je n’ai pas cessé de penser à celui-ci à mesure que l’auteure se perdait et nous perdait dans des dédales et des avenues qui ne faisaient pas sens. Et pourtant, j’aurais tant aimé voulu aimer ce livre.