Avec Supervielle 5
La lectrice peinte par Walter Shirlaw n’a pas pris la peine de s’asseoir. Dès son arrivée, elle a ouvert La fable du monde, le recueil de Jules Supervielle et ne l’a quitté qu’au moment de partir, après avoir glissé un signet entre deux pages afin que je vous transcrive le texte qui s’y trouve et que voici :
Allons, mettez-vous là…
Allons, mettez-vous là au milieu de mon poème,
Que je m’approche à loisir, loin des regards indiscrets,
Entre des mots qui vous observent, bien qu’ils vous devinent à peine,
Et d’autres mots qui vous éclairent sans parvenir à vous toucher.
Vous y trouverez un air, un ciel plus cléments que l’autre,
Dans un grand imprévu d’arbres ignorés par les saisons,
Une attentive floraison comme aux premiers jours du monde,
Quand il n’y avait encor rien et que soudain tout devint nôtre.
Une légère carriole traversant ma poésie,
Avec un cheval qui jamais ne souleva de poussière
Parce qu’il sait avancer franchement, sans toucher terre
Nous fera voir aussi bien la clairière ou l’éclaircie.
Nous ferons un grand bûcher des angoisses de la terre
Pour le vouer à la mort qui s’éloignera de nous,
Et remonterons sans remords les plus secrètes rivières
Où se reflètent les cœurs qui ne tremblent plus que d’amour.