En vos mots 966

Les dimanches se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours. La bonne nouvelle est que le pays de Lali est fonctionnel, malgré ses divers problèmes. Je peux donc continuer à publier en attendant une nouvelle mouture et une nouvelle adresse.
Et pour ce 966e dimanche, je vous propose de faire vivre en vos mots cette scène livresque de l’artiste Tajh Rust, originaire de New York. Comme le veut l’habitude, aucun commentaine ne sera validé avant dimanche prochain. Vous avez donc amplement le temps d’examiner la scène sous tous les angles avant d’écrire quelques lignes. C’est avec plaisir que nous vous lirons.
D’ici là, bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
On a beaucoup travaillé à composer nos morceaux, à trouver des arrangements, à prendre des contacts visant à savoir où l’on pourrait jouer les prochaines saisons, et avec qui. Alors le dimanche, on se repose.
Nous ne sommes que trois à la base. Moi qui suis guitariste, N’jie ma douce amie qui dort là contre moi, qui est notre chanteuse. Et Ousmane, notre batteur. Souvent nous nous produisons seuls, mais parfois nous invitons aussi quelques confrères ou consœurs à se joindre joyeusement à nous. Par exemple Harun, le saxophoniste, ou Satou, notre géniale pianiste. Là nous avons un projet avec elle, et avec Youmna, talentueuse harmoniciste et bassiste. Sans oublier Oumar, à l’accordéon, ou Janila et son violon, ou sa trompette. Quand l’un ou l’une, ou plusieurs, nous accompagnent, notre trio Watsa devient tout simplement« Watsa and co ».
On a pris beaucoup de temps dernièrement à trouver un nouvel ingénieur du son, pour la période où Taha sera en vacances. Le veinard. Il ne veut plus se contenter des dimanches lui, et le voilà qui part pour trois mois faire le tour des Seychelles. Nous on n’a pas assez économisé pour ça. Mais en attendant, on peut rêver. Jouir d’une sieste qui nous emmène aux îles. Observer les Shamas, ces beaux oiseaux typiques de l’archipel.
Oh, ici ce n’est pas mal non plus. On a l’Araponga, l’oiseau des musiciens par excellence. Lorsqu’il chante par amour, tout le monde l’entend. C’est l’oiseau qui produit le plus de décibels au monde. Et le Brésil est si grand que nous n’avons pas encore tout visité. Mais Taha veut revoir son continent. Et sa Somalie natale au passage. Il nous ramènera très certainement le fruit de ses rencontres là-bas, de nouveaux instruments, de nouvelles expériences. Des perspectives neuves pour notre groupe.
N’jie dort profondément. Sa respiration régulière et douce m’émeut toujours comme au premier soir. Moi je n’arrive même pas à somnoler. Pareillement au premier soir, et comme souvent, plein de perspectives s’agitent ensemble dans ma tête. Et je ressens de plus une énorme gratitude, pour cette existence heureuse qui est désormais la nôtre. Il y a trois ans encore, N’je et moi galérions dans les sombres mines de fer où nous nous étions rencontrés. Nous tentions quotidiennement en vain de nous protéger contre l’âcre poussière ocre qui envahissait tout. Ce goût de métal, on l’a gardé ensuite longtemps dans la bouche. On avait l’impression d’en avoir partout, de cette horrible limaille rouge. Elle s’immisçait en nous, s’insinuait par tous les trous, nous rongeait, nous tuant à petit feu. Puis un jour il y a eu l’accident. Pas chez nous, mais à proximité. La rupture d’une digue renfermant des résidus miniers. Ils n’ont pas voulu dire exactement combien de morts. Trop, de toute façon. Sans compter qu’on avait le sentiment déjà de se mourir tous les jours, et davantage de jour en jour. Ce fut le déclic. A ce moment-là, on se reposait déjà le dimanche, autant qu’on le pouvait, entre le ménage à faire et parce qu’un bon sommeil n’était plus accessible à nos corps hors de combat. Mais avec quelques amis, et malgré notre épuisement, nous n’aurions pour rien au monde manqué en soirée nos séances de musique dominicales.
Alors on allait se débrouiller. Faire n’importe quoi plutôt que de continuer à abîmer notre santé et à risquer notre vie. Ne plus contribuer non plus à l’ignoble pollution générée par les boues toxiques. Faire n’importe quoi, peut-être pas. Il fallait que ce soit mieux. On ne se serait pas prostitués par exemple. Et on n’aurait pas dealé de la came. Heureusement, parmi nos proches, aucun n’était tombé dans le cycle infernal des stupéfiants. Ni de la prostitution. Mais nous avions la musique. Et ce vocable seul résonnait, magique, comme le chant de notre libération. Mille notes cristallines emplissaient soudain l’espace, remplaçant peu à peu dans notre air vicié les particules ferrugineuses délétères.
Au début ce fut difficile. Nous jouions dans les rues. Puis ce fut lors de fêtes, sur les places. Dans des cafés. Et finalement dans quelques salles de concert et spectacle. On a enregistré un disque, puis deux. Dans un vrai studio, avec tout bien équipé. La période des vaches maigres prenait fin. On pouvait même dire qu’elle était terminée. Nous travaillions aussi les dimanches, mais nos poumons et nos peaux revivaient. Nos esprits exultaient. Et en ce qui nous concerne N’jie et moi, je crois bien que l’amour nous a sauvés. En tout cas il nous a beaucoup aidés à tenir debout, et permis d’en soutenir d’autres autour de nous, qui n’avaient pas notre chance.
Aujourd’hui le dimanche, la plupart du temps, on se repose à nouveau. Enfin, en ce qui me concerne, j’essaie. Car ce n’est pas facile, avec le petit vélo dans ma tête. Nous ne sommes pas très riches, mais ne manquons de rien. Plus besoin de travailler sans journée de relâche. Et il se peut que que l’an prochain nous envisagions enfin un petit voyage. N’jie aimerait bien. Nous ne sommes pas si loin de la côte ouest de l’Afrique. Et il paraît que le Nicator du Sénégal possède un chant surprenant.
Commentaire by anémone — 28 octobre 2025 @ 9:42
New York. Une nuit d’une chaleur moite. Les corps engourdis. Le bruit sourd des ventilateurs.
Dehors les sirènes. Les klaxons qui hurlent des heures vides. Ces quelques mots de Léopold Senghor, qui trainent dans ma tête et parlent de la ville qui ne dort jamais. Paraît-il.
Une nuit comme tant d’autres. Des amoureux qui se donnent des rendez-vous éphémères. Des sans abri qui traînent ce qui leur reste de dignité dans une solitude anonyme, éblouis par les arc-en-ciel de néon aux couleurs froides et sans âme.
New York. Toutes ces rêveries en chansons auxquelles je ne crois plus. Même si. « Cela forge un homme de tolérer l’ignorance en souriant », chante Sting. J’oublie Sinatra et tous les autres.
Envie de croire à un rire de saxophone, à la voix rauque d’un vieux jazz triste.
Je marche. Le Bronx. Qui se souvient encore d’Abel Meeropol?… Personne. Il est vrai qu’il se faisait nommer Lewis Allan, les prénoms de ses deux enfants. Faudra le répéter aussi souvient que l’oubli fait son nid.
New York. Je marche. Seul. Mains dans les poches. Au hasard. A la radio, la voix de Billie Holiday:
Les arbres du Sud portent un fruit étrange…
Les larmes aux yeux, il me revient des mots de Senghor. Encore lui.
« New York Je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton sang. »
Commentaire by Armando — 30 octobre 2025 @ 22:23