Elle classait
Elle classait et reclassait. Il fallait qu’elle s’occcupe. Parce qu’elle savait bien qu’elle serait incapable de dormir. Parce qu’elle savait bien que dans quelques heures tout ce qu’elle avait imaginé, tout ce dont elle avait rêvé allait trouver son aboutissement.
Elle classait. Elle palpait les sabots vendéens, une cloche valaisanne, des photos, des cartes de souhaits, tous ces objets éparpillés sur les rayons comme traces de vie, commes témoins de sa vie. Des souvenirs qu’elle avait rapportés. Des babioles qu’on lui avait offertes. Elle refaisait les voyages à contre-courant et lui revenaient ces moments où on lui avait offert cette petite boîte peinte, cette pierre tunisienne, une poupée d’Israël.
Elle classait, en se laissant submerger par les objets de la mémoire, inutiles mais si précieux. Non pas monétairement, mais pour ce qu’ils représentent. Elle classait. Tout allait bien. Jusqu’au rayon de littérature étrangère. Des B, plus précisément. Une demi-tablette de romans de Pearl Buck, pour tout vous dire. Et le classement s’est arrêté là. Pour le moment. Pour tout de suite. Parce qu’il lui faut retrouver un passage dont elle ne conserve que le souvenir. Et la lectrice de Frank Eyre s’est assise. A oublié les B et le reste de l’alphabet. Elle est plongée dans le roman Vent d’est, vent d’ouest de ses quatorze ans.