Lali

Un soir je m’étais endormi, et j’ai rêvé que j’étais
un arbre… je devais dormir comme une bûche…

J’étais un arbre en ville. C’est pas simple.
Ils m’avaient planté là, au bord du trottinoir,
entre les autos qui filaient vrrroum!…
et les piétons qui piétonnaient…
Moi, tout petit, un pôvre petilleul de rien du tout,
pas plus gros que le pouce, j’en menais pas large.
Heureusement, on m’avait planté un grand piquet
juste à côté pour me tenir compagnie…
Tout de suite il s’est attaché à moi,
il est devenue mon ami, mon tutoyeur…
Je pouvais pas m’en passer, surtout quand il ventait.

Extrait du monologue « Le vulnérable », Presque tout Sol

*toile de David H. Taylor

Être un patron ça me déplairait pas…
Il est bien le patron.
D’abord il n’a pas besoin d’aller à l’école
il a sa classe à lui tout seul
c’est la classe digérante…
Oui passque le patron il mange
il mange très énormément tous les jours
dans une grande assiette fiscale…

Extrait du monologue « Le gagne-petit pain », Presque tout Sol

*toile signée Hall Groat II

tous les quatre ans à peu près
ça nous tombe dessus
la ville est invasionnée par la campagne
par les candides ah les candides ah
alors on fait le grand ménage
on vide la chambrée
on nettoye
et on aspire
c’est un électroluxe qu’on se paye
on se met à quatre cinq six
sur le même siège
et on aspire on aspire
c’est le meilleur aspirateur
qui gagne
il garde le siège
et le dossier avec
ah les candides ah
toujours la même sempritournelle

Extrait du monologue « L’électroluxe », Presque tout Sol

*toile de Romeo Mesisca

tiens suppositionne
que tu entres dans une tapisserie
tu manges un gâteau
deux gâteaux
trois gâteaux
plein de gâteaux
là c’est grave
t’es sûre de payer pour ça pluss tard
surtout si tu payes pas tout de suite
si tu sors sans payer
alors là on te rentre en dedans
et là
t’es sûre de faire de la cellulite

Extrait du monologue « La cellulite », Presque tout Sol

*toile de Francesc Sillué

moi
pôvre petit moi
j’ai jamais été instructionné
c’est pas ma faute
quand j’étais tout petit
j’ai seulement suivi les cours
de récréation
et après
il paraît que l’école
c’est secondaire alors

ensuite
j’ai même pas eu la chance d’aller à l’adversité
c’est elle qui a venue a moi

Extrait de « L’adversité », Presque tout Sol

*toile de Janet Hill

Un jour, quand l’homme en a jusque là
de voler autour de la Terre, il a réflexionné :
C’est bien beau d’avoir dépassé le murmure du son,
mais on tourne en rond, on révolutionne,
toujours avides… et on avance à rien…
Laissons-nous emporter par la force centrifuge!

Et c’est là que l’homme a décidé de s’envoyer en l’air.

Extrait du monologue « Les costaunautes », Presques tout Sol

*toile de Floyd Hatcher

Tu parles qu’on a tout pour se ruiner
on a même pas besoin de sous
on a le crédule!
Ça le crédule c’est estradinaire
le crédule il croit que t’as des sous
alors il te fait des avances
il te prête
il te prête surtout de bonnes intentions
il te laisse sa petite carte
et avec ça t’as plus besoin de sous
jamais
C’est la carte de crédule!

Avec ta carte de crédule
tu te ruines tu t’en aperçois même pas.
Avec elle tu peux tout avoir
n’importe où.
Tu entres dans un magasin à rayures
tu commences par le rez-de-chaussette
et tu peux monter jusqu’au dixième étalage
c’est plein de choses…
Avec ta carte tu peux tout avoir.

Extrait du monologue « La carte de crédule », Presque tout Sol

*toile de Ted Wen

J’aimerais tant les aider
c’est pas toujours drôle la vie d’une couleur
c’est pas toujours rose…

Puis un jour comme ça par hasard
l’artiste se réveillonne et se fâche :
on a pas le droit de mettre les couleurs en prison!
Y a qu’à voir le monde
le monde est grisonnant, trixte et mélancolorique…
Finies les idées noires!

Extrait du monologue « Pôvres petites couleurs », Presque tout Sol

*toile d’Alberto Mielgo

Afin de préparer ce 25 décembre, j’ai fait le tour de la bibliothèque de l’artiste coréen Hong Kyong Tack. Je tenais à vous vous offrir à l’occasion de Noël un livre exceptionnel, un livre qui vous accompagnerait heure après heure et qui serait un véritable cadeau.

C’est ainsi que m’est venue l’idée d’ouvrir Presque tout Sol de l’inénarrable et inégalable Marc Favreau qui a quitté la scène il y a cinq ans à quelques jours de Noël.

Lui qui enchanta ma jeunesse avec son personnage de Sol créa ainsi un clown hors du commun qui allait le suivre toute sa vie. Un clown qui fit les beaux jours du Théâtre de la Ville à Paris et de toutes les scènes du Québec. Je me souviens d’ailleurs d’un spectacle qu’il avait donné à l’intention des libraires, lequel était commandité par les dictionnaires Robert dans lesquels on ne trouve pas les mots imaginés par Sol!

Heure après heure, seront donc déposés ici des extraits de monologues (accompagnés de toiles où les livres sont à l’honneur) afin de vous faire découvrir ce fabuleux faiseur de mots. Puissent ceux-ci vous ravir et vous donner envie de parcourir Presque tout Sol ou de le voir en DVD si jamais vous avez cette chance!

À l’heure où les douze coups de minuit viennent de sonner, je vous souhaite en ce jour Noël de doux instants qui sauront vous réjouir, faire briller vos yeux et dessiner des souvenirs impérissables.

Un doux jour de Noël à vous tous!

*toile d’Alexander Viktorovich Moravov