Lali

Une lettre

Notre vie est désormais une lettre
porteuse d’un important message
dont l’expéditeur et le destinataire
se sont perdus parmi les vagues de réfugiés.
Pourtant la lettre va et vient
d’un bureau de poste à l’autre
sans que nul ne l’ouvre
sans que nul ne la jette
barrée toujours de la mention « urgent' »
avec les noms pâlis des deux côtés
que les postiers seuls prononcent
comme les savants dans les laboratoires
disent les noms d’espèces disparues.

Titos Patrikios, dans Anthologie de la poésie grecque contemporaine

Dinos Christianopoulos, dans Anthologie de la poésie grecque contemporaine

*choix de la lectrice de Jesus Rodriguez de la Torre

Soirée

C’était une belle soirée, nous bavardions sur le trottoir
à n’en plus finir.
Les oiseaux chantaient, les gens passaient, les voitures filaient
A la fenêtre en face la radio jouait des rebetikas,
la fiancée du voisin fredonnait son mal d’amour.
L’acacia perdait ses feuilles, le jasmin embaumait,
Les garçons jouaient à cache-cache près du parc
et les filles sautaient à la corde –
ils jouaient, ne sachant rien de la mort,
ils jouaient , ne sachant rien du remords,
et je les ai soudain aimés, les humains ce soir-là,
beaucoup aimés, je ne sais pourquoi, comme avant
d’aller mourir.

Dinos Christianopoulos, dans Anthologie de la poésie grecque contemporaine

*choix de la lectrice de George Van Hook

Je fixe les restes de la nuit dans mon bol de café
Je suinte l’amour par tous les pores

Qui me refuse sa bouche.

Adeline Baldacchino, 13 poèmes composés le matin

*choix de la lectrice de Darlene Young

J’y vais aussi
Le cartable plein de livres
Pour s’ancrer dans la terre
Qui surnage dans la brume
Pleine de fils de fer et d’argent tordus
Qui s’enfoncent à vif dans la chair de l’âme
Il faut des livres pour contrer la mort
Des mots pour se désempaler
Se rassembler
Se ressembler
Recommencer

Adeline Baldacchino, 13 poèmes composés le matin

*choix de la lectrice de Leonid Pasternak

Crier

et que mon cri arrache cette opacité qui m’étouffe,
ce souffle qui advient quand la parole s’ensable
dans le désert du milieu où grouille l’imprenable.

Alain Morin, Le mouvant de la parole

*choix de la lectrice d’Antoni Vila Arrufat

Éclipse de la parole,
disque noir de la sécheresse qui interdit toute
vision sinon de constater l’absence de tout regard
vers le présent, l’épouvante du rien à dire qu’éprouvent
toutes les formes de l’attente.

Alain Morin, Le mouvant de la parole

*choix de la lectrice de Zhang Weber

Contorsionniste de la langue et du temps
embryon prometteur, métamorphose en danger
dans le même temps, serpent guérisseur.

Un regard absolu s’aveugle, une main
gauche ou exquise, une bouche parfois
fait sourdre la liqueur d’amande des mots.

Eve Lerner, Le chant vient de plus loin que l’homme

*choix de la lectrice de Guy Seradour

Jardins

Tant de mots partagés
tant de rire, tant de rêves
tant de vies à explorer.

Eve Lerner, Le chant vient de plus loin que l’homme

*choix de la lectrice de Richard Beerhorst

Jardin minéral

comme les feux d’un théâtre.

Eve Lerner, Le chant vient de plus loin que l’homme

*choix de la lectrice de Liz Hirstle

Sans brèche sans chute
main dans la main avec la lenteur
la gravité s’inverse
sous les tempêtes de l’été.

Eve Lerner, Le chant vient de plus loin que l’homme

*choix de la lectrice d’Austin Brayfield