L’écriture de François Gilbert avait séduit les membres de la rédaction lors de la parution de Coma, son premier roman. La barre était donc haute pour le lauréat 2012 du prix Canada-Japon.
Or, François Gilbert a relevé le défi avec brio. La maison d’une autre est un roman admirablement bien ficelé qui pousse au pied du mur les acteurs de ce drame où une jeune femme qui va épouser dans peu temps un architecte respecté et respectable voit sa vie basculer parce qu’elle accepte de porter secours à un ancien amant qu’elle n’a jamais réussi à oublier.
Il ne s’agit pas de lui prêter de l’argent, ni ne le soigner, mais de trouver une solution afin de le sortir d’une situation qui ferait fuir n’importe qui appelé à l’aide. En effet, Olivier doit se débarrasser d’une morte, rien de moins, laquelle a fort probablement péri à la suite d’une « séance » qui a dépassé les limites du jeu imposé.
Nanami, qui n’est pas certaine ne pas ressentir une certaine forme d’amour ou d’attirance pour Olivier, ne réfléchit pas vraiment et fonce tête baissée dans ce qui deviendra une prise de conscience. Un retour sur la vie tout en zigzags qu’elle menait quand elle a rencontré Olivier, de celle, presque droite qui est devenue la sienne depuis leur rupture, et surtout sur celle qui l’attend dans quelques jours.
Nanami sait bien qu’elle a menti à l’homme qu’elle va épouser, qu’elle n’est pas la pure jeune femme dans la peau de laquelle elle s’est glissée afin de faire illusion. Mais est-elle encore celle qui fréquentait des clubs et passait la nuit avec des étrangers qu’elle ne comptait pas revoir? Est-elle encore en mesure d’éprouver de la passion? Que ressent-elle vraiment pour celui avec qui elle compte passer le reste de sa vie et pour celui qui vient de ressurgir?
C’est à répondre à ces questions, autant qu’il est possible de le faire, que s’emploie François Gilbert dans ce roman qui varie entre deux rythmes. Tout va très vite quand il faut agir, mais très lentement quand la jeune femme, en pleine introspection, se voit totalement engourdie et prête à laisser le poids du destin peser sur elle, même si elle doit pour cela perdre la vie.
Roman grave, aux détours sinueux, La maison d’une autre nous emmène, comme c’était le cas pour Coma, dans ce Japon dont l’auteur connaît bien les us et coutumes pour y avoir vécu. Mais pas juste au Japon. Au fond de chacun de nous. Là où se dissimulent des questions auxquelles il est parfois difficile ou inutile de répondre, jusqu’au jour où elles s’imposent et nous empêchent de dormir.
Nanami, c’est un peu de nous en nous. Étrangère et familière. Comme cette maison qui est la sienne, mais qui est aussi « la maison d’une autre ».
Texte publié dans