Une parmi dix millions
Elle caresse la feuille de papier qu’il a touchée avant d’y inscrire un JE T’AIME tout simple et de la glisser dans une enveloppe. Elle caresse la lettre comme elle aimerait caresser son visage. Souvent. Mais il faudra attendre des semaines, des mois. Rien n’est décidé encore. D’autres lettres la nourriront avant le prochain rendez-vous autre qu’en webcam, autre que téléphonique. Avant quelques centaines de courriels. La lectrice de Monica Stewart sait qu’elle n’est pas seule à vivre ainsi, à trois heures de route ou à huit heures d’avion de la personne aimée. Dix millions de couples vivent ainsi, c’est ce que disait l’article qu’elle a lu dans la salle d’attente du dentiste. Incrédule. Dix millions. Dix millions à ne se voir que les fins de semaine ou une ou deux fois par année. Pour toutes sortes de raisons. Dix millions à échanger davantage que tous ceux qui vivent ensemble, disait toujours l’article. Dix millions à ne pas partager le quotidien et à trouver plus qu’un équilibre dans cette situation. Un véritable bonheur. Une proximité plus intense dans les mots qu’on écrit, dans les rêves qu’on partage, dans ce qu’on dit tout haut que dans les gestes anodins qui deviennent parfois routiniers puis usure.
Elle caresse le papier. Elle regarde le ciel. Le même que là-bas. Malgré la distance, le décalage, le fait que tous deux vivent sur deux fuseaux horaires à la fois. Elle regarde le ciel. Comme lui. Comme dix millions d’autres.
Elle caresse la feuille. Elle pense aux mains qui ont touché la feuille, qui ont aimé sa peau. Et elle regarde le ciel. Une étoile en particulier. Et elle est certaine qu’il a regardé la même avant de s’endormir.