J’avais huit mois, à quatre jours près. Je ne marchais pas encore, mais je babillais. Mais de cette journée, je n’ai aucun souvenir. Je n’ai que ceux de maman qui, ce jour-là, portait une robe d’été : il faisait 30 degrés sur Montréal il y a 50 ans.
Ce 12 avril 1962, mes parents emménageaient dans leur première maison. Ils y habitent toujours. Et chaque pièce de cette maison recèle de souvenirs dont j’ai choisi de conserver les plus heureux. Et à l’heure où je pense à cette maison où j’ai vécu près de la moitié de ma vie, je revois mes grands-parents qui ont vécu avec nous. J’entends leurs voix. Puis montent en moi des bouffées de tendresse pour eux qui ont fait de leur petite-fille une enfant choyée et aimée, tellement aimée.
Monte en moi l’odeur de la confiture de fraises. Me revient ma trousse de médecin avec laquelle j’examinais mon grand-père. Ma cuisinière où nous avons fait cuire d’immondes gâteaux aux cerises ma sœur et moi. Les chaises longues qu’on installait sous le saule qui a dû être coupé depuis pour lire sous son feuillage trois saisons sur quatre. Le piano duquel maman faisait surgir Mozart, Brahms, Beethoven qui nous berçaient. La table à café qui n’a pas bougé, autour de laquelle papa nous a promenées sur son dos et sur laquelle nous étalions nos cahiers en écoutant des musiques de partout.
Me revient en mémoire ma première chambre, celle que je partageais avec ma sœur avant le décès de mes grands-parents. Puis celle peinte en lilas, mon lit où ma chienne Milkie prenait plus de place que je n’en prenais. Les matchs de hockey à la télé avec mon grand-père. Les repas de Noël autour de la table ronde que j’ai transformée en table de travail. Le manteau à carreaux de mes quatre ans. Les bancs de neige plus hauts que moi.
Et puis, la bibliothèque du salon où étaient rangées les encyclopédies aux illustrations que je pouvais admirer pendant des heures avant que je n’apprenne à lire. Et pas juste les admirer, ce qui a fait hurler mon grand-père, qui n’a pas tardé à me montrer à lire afin que je n’ampute plus les livres.
Et puis, mes premiers livres. Mon premier dictionnaire illustré. Les titres de la comtesse de Ségur. Le club des 5, le clan des 7, les enquêtes de la détective Alice Roy, le Journal d’Anne Frank, les romans d’Agatha Christie. Tant et tant de livres lus dans cette maison pendant le presque quart de siècle où elle a été la mienne. Trois fois plus de livres lus ailleurs dans des appartements, des trains, des parcs, des bibliothèques.
Tant de livres lus. Mais une seule maison. Celle où j’ai grandi.
*toile d’Amy Whitehouse