Lali

18 janvier 2016

Les futilités

BACIU (Alexandra)

– Tu as lu la première version il y a huit jours!
– La semaine dernière? C’est bien trop loin tout ça! Je n’ai aucune idée de quel document tu me parles!

Je sors donc le document du classeur. Elle reconnaît son écriture. Mais le document, niet. C’est comme si elle le voyait pour la première fois.

Et pourtant, ce n’est pas qu’elle n’a pas de mémoire. Elle peut vous dire avec précision quand est né le prince George, presque à la seconde près. Elle se rappelle très bien de la robe qu’elle portait le jour des 50 ans de Trucmuche. D’ailleurs, elle l’a toujours. Elle connaît les noms de pratiquement toutes les séries états-uniennes des dernières années.

Mais les traces de ce qu’elle a fait il y a quelques jours à peine se sont volatilisées.

À chacune ses futilités.

*toile d’Alexandra Baciu

13 décembre 2014

Est-ce si grave que ça?

BECQ (Cécile)

J’ai écouté ses jérémiades d’une oreille. Des deux, cela aurait été beaucoup trop pour mes petites oreilles si sensibles. Ce jour-là, le lendemain d’un concert de l’Orchestre symphonique de Montréal auquel elle avait assisté grâce à des billets qui lui avaient été offerts, elle râlait. Non pas contre les musiciens, ils avaient été parfaits. Ils sont toujours parfaits, selon elle, tout comme le chef qu’elle vénère plus que tous les dieux, même ceux de pacotille.

Ce jour-là, donc, alors que je m’apprêtais à écrire quelques lignes à une amie, elle en avait contre ces jeunes qui avaient payé leur place à tarif réduit et qui applaudissaient entre les mouvements, dérangeant tous ces mélomanes qui fréquentaient la plus belle salle de Montréal pour ne pas se trouver au milieu des ploucs de Laval et d’autres banlieues montréalaises. (Oui, elle a bien dit cela.)

Mais est-ce si grave que ça quelques applaudissements entre deux mouvements? Ne peut-on pas tout simplement les considérer comme un débordement d’enthousiasme de la part de mélomanes de demain dont les orchestres auront bien besoin s’ils veulent continuer d’exister?

J’ai tenté de m’exprimer, mais j’ai bien compris que ça ne servirait rien. Le snobisme est une maladie incurable.

*illustration de Cécile Becq

13 septembre 2014

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 15

DUCREUX (Catherine) - 6

Avec le nombre d’inepties de toutes sortes entendues depuis une semaine, il est temps que j’alimente cette rubrique quelque peu délaissée depuis trois ans pour y déverser celles-ci, car il vaut parfois mieux se taire et ouvrir un livre au hasard quand on a droit à des horreurs que de mettre de l’huile sur le feu.

Il vaut mieux lire qu’entendre ça reprend donc du service pour les besoins de la cause. La cause? Quelle cause? Dénoncer les préjugés, les affirmations sans fondement, les jugements à l’emporte-pièce, les faussetés galvaudées de toute part, sans pour cela les régler. Mais pour s’en libérer.

Ainsi, il y a quelques jours, j’ai ouvert le dictionnaire pour chercher n’importe quel mot au hasard pour éviter d’exploser. Je venais une fois de plus d’entendre une ineptie. Un jugement de valeur bâti sur de l’air et des préjugés. Le genre de phrase toute faite que certaines personnes ont facilement aux lèvres et qui me fait ordinairement sortir de mes gonds.

J’ai donc appris entre deux bouchées de salade qu’un certain G., acteur bien connu, allait épouser une avocate d’une quinzaine d’années sa cadette. Il en avait fini avec les serveuses de restaurant. Tout de même, un acteur comme lui, ça vaut mieux qu’une serveuse! Et une avocate, c’est nettement mieux qu’une serveuse.

Bien entendu. Mais où ai-je la tête? C’est là une évidence… évidente. Pour elle. Elle qui a oublié que l’acteur en question a été plongeur à une certaine époque. Qu’il a eu de la chance. Et que les qualités du cœur n’ont rien à voir avec le métier qu’on fait, le salaire ou le standing.

Je me suis tue. Le dictionnaire venait de confirmer ce que je savais déjà. Ma collègue est bel et bien une snob, soit quelqu’un « qui affecte et admire les manières, les opinions qui sont en vogue dans les milieux qui passent pour distingués et qui méprise tout ce qui n’est pas issu de ces milieux ».

Une avocate mieux qu’une serveuse? Il vaut mieux lire qu’entendre ça.

*sculpture de Catherine Ducreux

11 juin 2011

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 14

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-Tu as des nouvelles de lui?

Non et je n’en veux pas. Est-ce si difficile à comprendre?
Et même si je répète depuis plus de neuf ans que je préférerais qu’on n’évoque plus son existence, il y a toujours quelqu’un quelque part, une personne n qu’on ne fréquente pas mais qui fait partie de l’entourage de quelqu’un qu’on connaît pour demander Tu as des nouvelles de lui? Ou pour me dire que Machintruc croit l’avoir croisé à tel endroit, qu’en tout cas « ça avait l’ait de lui ». Ou encore pour affirmer : « Moi je ne l’aimais pas. Je suis contente que tu t’en sois débarrassé. »

Mais je ne m’en débarrasserai jamais tout à fait puisqu’il y aura toujours l’un ou l’autre pour me dire que, quoi, comment, etc. Pour me rappeler un long épisode de ma vie dont je suis sortie ruinée et que je préfère qu’on taise. Mais parce qu’il y aura toujours quelqu’un, à l’occasion d’un souper, d’une fête ou de tout autre rassemblement qui me posera LA question que je ne veux plus entendre, j’ai choisi de m’éloigner des occasions. De prendre le large, en quelque sorte. Au pays du silence et des mots. Parce qu’il vaut mieux lire qu’entendre ça.

*toile d’Anphia Coetser

3 juin 2011

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 13

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Pas de bonjour. Comme d’habitude. Une feuille tendue pour que je révise l’orthographe. Et puis, avant de partir :
-Je me disais qu’on pourrait manger ensemble.
-Hum, oui, ai-je fait, un peu laconique.
-Je vais t’envoyer une invitation quand j’aurai examiné mon agenda.
-OK, ai-je continué sans plus d’enthousiasme.

L’invitation est arrivée quelques jours plus tard. Le lieu, le jour, la durée, tout était clairement indiqué. Il suffisait d’accepter. J’ai oublié de le faire. Volontairement. Je l’admets. Pourtant, c’est si simple de répondre à une invitation Outlook.

Mais je n’aime pas cette façon qu’elle a eue — qu’elle a toujours — de s’imposer. Je n’aime pas qu’on choisisse à ma place. Le moment comme l’endroit. Était-ce si compliqué de traverser un couloir pour qu’on fasse ensemble ce choix?

Ce midi-là je suis sortie lire ailleurs. Nul ne savait où j’étais.

*toile de David Oyens

9 mai 2011

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 12

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« Ne me parle pas de catastrophe! »

Je me suis tue. D’abord, parce que le choix du mot catastrophe m’a jetée par terre. Puis, parce que j’ai compris qu’il serait vain de donner mon opinion à quelqu’un qui ne voulait rien entendre et qui resterait toujours sur ses positions. La conversation stérile que nous avions eue il y a quelques mois m’est revenue en un clin d’œil en même temps qu’un goût de craie à la bouche. Cette fois-là, elle parlait des enfants qu’on adopte légalement ou qu’on aime forcément parce qu’ils sont ceux du conjoint, mais qui ne seront jamais pour une mère de vrais enfants parce qu’elle ne les aura pas portés. Elle, elle est une vraie mère. Ses enfants sont sortis d’elle. Une mère adoptive qui n’a pas pris vingt kilos le temps d’une grossesse, qui a eu mal lors d’un accouchement et qui n’a pas serré contre elle son enfant à peine né, ne sera jamais, selon elle, une mère à part entière. Elle ne pourra pas aimer « ses » enfants autant et aussi bien que si elle les avait portés. Son ton avait monté. Et il ne servait à rien de continuer. C’est à moi que je faisais mal en tentant de faire valoir mon point de vue que de toute manière elle allait rejeter. Elle était, elle, une vraie mère, pas une mère adoptive, pas une mère temporaire, une vraie mère, et elle le disait haut et fort en montrant la photo de ses fils.

Je me rappelle être sortie de la pièce. J’étouffais.

Et tandis que me taisais, sous le choc du mot « catastrophe », alors qu’avait été mentionné dans la conversation qu’un de ses fils pourrait un jour vivre avec une femme qui aurait un enfant dont il ne serait pas le père, j’avais mal. Mal à cet enfant dont je ne sais rien, qui n’existe peut-être pas, mais qui pourrait un jour espérer d’une « fausse » grand-mère un regard tendre qu’elle ne serait pas à même de lui donner. Un enfant qui ne serait pas de sa chair, quelle catastrophe!

Les midis qui ont suivi, c’est un livre qui m’a tenu compagnie. Les personnages des livres sont souvent plus humains que les gens avec lesquels nous devons composer. Hélas.

*toile de Mischka Azkenazy

2 février 2011

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 11

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Où que vous soyez, dans l’autobus, au bureau, à l’épicerie, dans une salle d’attente, il y aura toujours des spécialistes en train d’échanger leurs opinions concernant le plus récent match de hockey. Des conversations qui ressemblent à celle-ci :

-Moi si j’étais le coach, ça ne se passerait pas comme ça!
-Moi non plus, ça n’a pas de sens de laisser Machin sur le banc!
-Et de retirer le gardien à trente secondes de la fin, c’est mieux?
-Au prix qu’ils sont payés, ils devraient patiner plus vite que ça…

Les Québécois, même ceux qui n’ont jamais chaussé de patins, pourraient tous diriger une équipe de hockey. Et surtout mieux que ne le fait tout entraîneur en poste. Fascinant, non?

*toile de Giovanni Panza

27 janvier 2011

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 10

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J’ai pris l’habitude de manger dans mon bureau. Ça me donne une heure de tranquillité loin du brouhaha de la cafétéria agrandi qui, avec son haut plafond, est encore plus bruyante que l’ancienne. Ainsi, les journées où ma collègue ne travaille pas (un jour une semaine, deux la suivante), j’en profite pour lire et écouter de la musique tout en mangeant.

Je venais de finir mon muffin anglais à la salade de thon et j’allais engouffrer un biscuit aux pépites de chocolat quand elle est entrée dans mon bureau.

-Tu sais combien il y a de calories dans ce biscuit? a-t-elle demandé en me détaillant comme si mes kilos en trop étaient immondes alors que j’aurais fait le bonheur des peintres d’une autre époque.
-Trop pour que je t’en offre un, ai-je fait en croquant dedans avec enthousiasme et gourmandise.

Je sais, ce n’est pas très sympa. Mais l’échalote au soutien-gorge décoratif l’avait cherché.

Je crois qu’elle ne m’interrompra plus quand je serai en pleine lecture… et en plein délit de gourmandise.

*toile de François Martin-Kavel

26 janvier 2011

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 9

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-Tu ne le connais pas? avait-elle fait, visiblement sidérée.
-Non, jamais entendu parler de lui…
-Mais si, c’est lui qui fait le sketch avec un singe…
-Ah!
-Mais voyons, tu ne peux pas ne pas l’avoir vu, il passe tout le temps à la télé…
-Je n’écoute pas la télé.
-Quoi?…

Silence.

-Tu sais qu’on va ouvrir un musée à la mémoire de José Saramago? ai-je dit pour faire la conversation, alors qu’elle était sous le choc de mon ignorance et du fait que je n’écoute pas la télé.
-C’est qui celui-là?
-Un grand joueur de hockey…
-Tu m’avertiras quand ça va ouvrir, j’adore le hockey.

Je suis peut-être une illettrée en matière d’humoristes, mais à mon avis il y a pire que moi.

*toile d’Orest Adamovich Kiprensky

30 décembre 2010

Il vaut mieux lire qu’entendre ça 8

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-Ce n’est pas de la musique ordinaire, tu verras…
-…
-Ce sont des improvisations. C’est pour mettre en valeur l’instrument pas la composition.
-…
-Je suis sûre que tu n’as jamais entendu quelque chose comme ça. C’est un peu intellectuel. Il faut se mettre en état avant.
-…
-En état de zénitude et d’ouverture, tu comprends?

J’ai compris. Le CD est toujours dans son emballage. Avec de telles mises en garde, inutile de me mettre en état, le plaisir de la découverte est gâché. Irrémédiablement terni. De toute manière, j’étais déjà dans tous mes états face à de tels avertissements.

Et j’ai pris le premier livre sur la pile. Sans me préparer d’aucune manière.

*toile de Jean Puy

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