C’est à partir d’une histoire vraie, celle de l’avocat Victor Nothomb, condamné pour faits et gestes en 1945 à Arlon et de celle d’un enseignant de Bouillon aussi condamné pour les mêmes raisons, que le journaliste Dominique Zachary a écrit La traîtresse.
Le roman met en scène Suzanne Gasper, professeure d’histoire et de latin (inspirée par l’enseignant de Bouillon) et son compagnon, l’avocat Pierre Clarens. L’un comme l’autre sont d’ardents défenseurs des droits des citoyens et de la liberté dans une Belgique envahie par l’ennemi, l’histoire se déroulant en majeure partie entre 1942 et 1945 à Morelange, village fictif à deux pas de la France et du Luxembourg.
Si on connaît assez bien les faits et gestes des résistants français de même que ceux des collaborateurs de l’Hexagone, il n’en est pas de même de ceux de leurs voisins belges. Le roman de Dominique Zachary est donc l’occasion de traiter de la cohabitation avec les Allemands pour nombre de citoyens belges, de la faim pour de nombreuses familles, la Belgique ayant été envahie dès mai 1940, et d’une sorte de survie en attendant la fin de la guerre pour la plupart des Belges.
C’est aussi l’occasion de dresser le portrait de cette Belgique en pleine mutation, où les femmes ne sont pas encore vraiment acceptées au sein du corps professoral, où certains purs et durs en veulent à quiconque qui, d’une façon ou d’une autre, a un lien avec tout Allemand, peu importe les raisons de ce lien, et où, pour sauver sa peau ou pour obtenir des privilèges, chacun est prêt à dénoncer son voisin, même sans raison.
Suzanne Gasper, avec ses idées larges, son sens aigu de l’Histoire, son amour pour la vérité, sa tolérance envers l’envahisseur, deviendra une cible parfaite dès la guerre terminée, tout comme le fait qu’il ait défendu des concitoyens belges devant la cour allemande (parce qu’il connaissait la langue) désignera Pierre Clarens comme ami de l’ennemi.
Pour raconter cette histoire qui souhaite replacer les choses dans leur contexte, comme l’avait fait Armel Job avec Baigneuse nue sur un rocher, et de réhabiliter la mémoire de ceux accusés de traîtrise et de collusion avec l’ennemi de façon injuste et sans appel, le journaliste Dominique Zachary, aussi auteur de récits et de biographies, a choisi pour son premier roman de se glisser dans la peau d’un professeur qui a bien connu Suzanne Gasper, au moment où un petit monument à sa mémoire est saccagé.
C’est là le prétexte pour celui-ci de raconter à ses élèves cette histoire qu’il porte en lui depuis un quart de siècle afin que nul n’oublie cette période trouble qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela donne un roman sur le ton de la confidence, pas toujours chronologique, avec des allers-retours dans le temps, des précisions (qui peuvent parfois sembler des redites) et beaucoup d’humanité.
Avec La traîtresse, Dominique Zachary éclaire un pan de l’histoire des Belges avec « l’audace de dénoncer les erreurs du passé pour rendre justice et redonner fierté à celles et ceux qui ont subi l’infamie de procès expéditifs et iniques », comme l’a si bien écrit l’écrivain belge Frank Andriat. Ce qui nous donne un roman sensible et intelligent, qui nous prouve que rien n’est jamais tout blanc ni tout noir.
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