Incursion au pays de la liberté
J’aime beaucoup cette toile de Colville.
Une reproduction achetée au Musée des beaux-arts de Montréal en 1984 est accrochée dans ma chambre, mon pays de la liberté, depuis que j’ai vu cette exposition.
J’aime la regarder, j’aime ce qui se dégage des bleus et cette impression de plénitude qui occupe la toile.
Je la regarde comme on contemple un rêve. Un rêve auquel j’ai longtemps aspiré, que j’ai sûrement attendu, voulu. Mais il est des tableaux dans lesquels on n’entre jamais, desquels je serai exclue. Je dis cela sans regret, car les regrets, ça ne sert à rien. Mais je sais que la complicité que je vois dans la toile d’Alex Colville, je ne la vivrai jamais avec quiconque.
Il y a trop de choses que je n’ai pas vécues à l’âge où on les vit pour les attendre et les espérer. Je n’ai aucune idée de ce que c’est de marcher dans la rue main dans la main avec quelqu’un. Je ne sais pas à quoi ça ressemble quelqu’un qui prend soin de moi alors que oui, le contraire, je sais très bien.
J’ai aimé, je sais ce que c’est. Et je me suis trompée au nom de l’amour, et oubliée. Mais il y a eu des moments magiques où le cœur a cogné si fort que quand j’y pense, je me retrouve dans le même état. Mais je ne veux plus le revivre, ni me retrouver ensorcelée. Ou prisonnière. Ni y croire toute seule.
Je sais tellement tout ce que je ne veux plus que je comprends très bien que je n’aimerai plus, que j’ai perdu ma naïveté et mes élans. Que je me suis créé un tel univers qu’il n’y a plus de place pour un homme dedans, même de passage. Que l’idée d’aller prendre un café avec l’un ou l’autre ne me dit rien. Mais rien du tout. Ce seront des heures enlevées à mes lectures, à ma musique, à mes amis. Et pourquoi faire? Me faire jauger des pieds à la tête comme de la marchandise? Me faire juger sur mes choix? Non, je n’ai vraiment pas besoin de ça.
Je regarde la toile de Colville et je me dis qu’une jeune femme de 22 ans a cru un jour pouvoir vivre cette scène. Mais c’était sans compter sur la vie qui en a fait autrement. Une vie qui l’a changée, une vie qui lui a redonné ses 17 ans, où elle ne rêvait que de voyages et d’écriture.
Je suis redevenue la citoyenne du monde que j’étais, libre et ne voulant jamais en changer. Je suis peut-être juste un peu plus cynique. Mais je ne jalouse ni n’envie aucunement le bonheur des autres, qui seraient bien malheureux de mener une vie comme la mienne.
Mais qu’on ne me dise pas que ce n’est pas normal de vivre ainsi, que l’homme est fait pour vivre par paires, que je n’ai pas trouvé le bon, et toutes les conneries du même genre.
Je ne supporte pas de partager mon lit. Je ne veux pas calquer ma vie sur celle d’un autre. Voilà plus de deux ans que je le dis, même si depuis j’ai laissé mon cœur s’ouvrir. Mais cette fois, je crois que c’est la bonne. Il est arrivé trop de choses ces derniers mois pour que je ne passe pas mon temps à réfléchir. Ce n’est pas une conclusion hâtive, mais bien mûrie. Et quiconque m’a vue à l’œuvre ces dernières semaines, voire davantage, tous ces beaux parleurs, ces spécialistes de la séduction, ces dragueurs affamés, ces imbéciles bien intentionnés, ces chercheurs en quête de sensations, tous ceux-là, auront bien compris que plus rien ne m’atteint et que je reste totalement froide aux compliments ou aux invitations.
Je préfère une soirée à bouquiner à un rendez-vous galant. Car simplement, ça ne m’amuse plus. Mais la bonne nouvelle dans tout ça, c’est que ça en amuse d’autres que moi!!