Les frites de Poulseur
Elles ne goûteront jamais celles de Poulseur. Les premières de mes frites belges. Celles du soir de l’arrivée aux Guillemins sous une pluie battante. Celles d’une friterie en bord de route où tout nous émerveille, parce qu’on a si attendu si longtemps, qu’on a réussi, que ça y est, on a conquis la Belgique qui d’avance, avait conquis celle attablée devant ses boulets/frites.
On m’aurait offert un trésor, voire la lune, je n’aurais pas été plus heureuse. Probablement émue. Il y avait là l’homme qui avait tout déclenché, qui avait donné à la curieuse que je n’ai jamais cessé d’être, le goût de sa Belgique, des routes vertes de Wallonie, de la langue aux expressions imagées, du surréalisme de ses artistes. Et il y avait des frites, de tous les emblèmes celui qui caractérise le plus – le mieux ? – ce pays qui fait partie de moi au même titre que celui de mes origines.
Et elles étaient bonnes. Et j’étais affamée. Pas juste du ventre mais de l’esprit et du cœur. J’allais enfin m’en mettre plein les yeux de ces paysages qui illustraient mes guides. J’allais enfin entendre au quotidien cet accent grave des Wallons aux A bien cassés qui ressemblent à ceux de chez nous. J’allais enfin pendant 18 jours vivre à l’heure belge, sans décalage horaire, puisqu’il y avait des mois que je vivais entre les deux. Et tout cela, je le voyais dans mes frites que je plongeais dans la mayonnaise.
Et ce midi, alors que je dinais avec Sophie et Marie-Eve, nous partagions tout haut toutes sortes de pensées et de réflexions. Ainsi, celle de la meilleure bouteille de vin qui nous serait offerte et qui nous paraîtrait insipide si nous la buvions seules. Alors qu’une piquette avec des gens qu’on aime est un délice.
Et je crois bien que ces frites ,qui n’étaient sûrement pas les meilleures que j’aie mangées en Belgique au sens gastronomique du terme, étaient malgré tout les meilleures tout court, parce que j’étais dans l’enthousiasme, avec quelqu’un séduit par mon appétit pour la vie et pour ce pays qui est le sien. Non, je ne crois pas qu’un jour Jacques pourra oublier ces minutes où je dévorais mes frites comme je dévore chaque minute qui m’est donnée.