Lali

23 février 2008

Les orteils de la lectrice

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 21:36

teutsch

« J’ai reconnu tes orteils », a-t-il dit.

Dire autre chose aurait été inutile. Ou peut-être pas aussi drôle.

Il n’habitait plus cette ville depuis longtemps. Parfois, ils se téléphonaient, question de prendre des nouvelles. Et quand il passait, c’était toujours en vitesse, de telle sorte qu’ils avaient rarement l’occasion de s’asseoir devant un café ou un repas. Et la lectrice peinte par Hannelore Teutsch, sa vieille amie de toujours, était là, dans ce parc, pieds nus.

Ils avaient été jeunes ensemble, avaient fait partie de la même bande de copains avec qui on va au cinéma, avec qui on fait des bouffes, avec qui on rêve. De tous, il était peut-être le seul qui se prenait vraiment au sérieux, et de tous, elle était sûrement celle qui se prenait le moins au sérieux.

Les orteils comme entrée en matière avaient un sens. Elles les ramenaient 25 ans en arrière. À un soir du mois d’août où endimanchés, parce qu’ils allaient au théâtre, elle n’avait pas résisté à la tentation de retirer bas et chaussures parce qu’il y avait là un bac à sable. Il l’avait regardée. Il avait regardé sa montre. Il était toujours en avance, mais tout de même. « Tu ne veux quand même pas que je t’accompagne? »

S’il avait à le demander, c’est que ce type n’était pas pour elle. Et il était resté là, avec sa cravate et ses chaussures vernies devant le bac à sable. Tandis qu’elle avait un plaisir fou auquel il ne participait pas. Il était bien trop sérieux pour ça.

-Tu fréquentes toujours les bacs à sable?
-Quand j’en ai l’occasion…
-Et sinon?
-Je me roule dans les feuilles l’automne.
-??
-Pas seule…
-Sait-il qu’il a de la chance?
-Je crois. J’espère. Il veut faire des châteaux de sable sur la plage. Avec moi.

Il entrera dans la pièce

Filed under: États d'âme,Couleurs et textures — Lali @ 20:55

maeve_m 4

Il entrera dans la pièce et me trouvera telle que l’écrivaine de Maeve McCarthy, les doigts sur le clavier et des livres ouverts autour de moi. Comme si souvent, comme tous les jours. Il ne demandera pas si je vais écrire longtemps encore. Il caressera mon visage. Il sourira. Il aime me voir heureuse. Et il sait que je suis heureuse ainsi. Dans mon pays de mots. Avec mes images. Mes souvenirs. La musique. Les histoires que j’invente.

Il est entré dans la pièce. Il a caressé mon visage et ma nuque. Il a choisi de la musique, a déposé des cerises et de l’eau sur la table et il a installé son portable en face du mien. Tout à l’heure, il me lira et je le lirai.

Les lapins

Filed under: États d'âme,Couleurs et textures — Lali @ 20:45

doyle 2

doyle 4

doyle 1

doyle 3

Les rares personnes avec qui j’ai dormi vous l’affirmeront tout de go : je ronfle. Et même, j’appelle cela le ronflement du juste pour faire un pied de nez à ceux qui parlent du sommeil du juste. Comme quoi, on peut rire de ses défauts. Mais je crois que même si je dors peu, je dors paisiblement. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit. Puisque je me réveille parfois exactement dans la position dans laquelle je me suis endormie.

Mais il a été une époque, aux heures de l’enfance où j’ai connu mes premières insomnies, puis le sommeil perturbé. Je voyais des lapins partout. Ils surgissaient de trous dans le gazon, ils se glissaient dans des interstices minuscules et ils m’affolaient. Littéralement. Je ne les trouvais pas aimables du tout, ni amicaux, ni rien de cela. Ils me faisaient peur. Horriblement peur.

J’avais sept ou huit ans. On m’avait offert Alice au pays des merveilles. Les lapins, ça venait de là. Jamais livre ne m’a fait plus peur, jamais livre ne m’a donné des sueurs froides comme celui-ci. Jamais. Même le loup du Petit chaperon rouge ou des Trois petits cochons n’avait pas eu cet effet sur moi. Ni aucun ogre.

Seul le lapin en chocolat du jour de Pâques a pu calmer mes angoisses. J’ai détaché ses oreilles et l’ai défait en morceaux. Pour me venger de ses congénères qui m’avaient fait aussi peur.

Curieux que ce souvenir me revienne alors que je regarde les toiles de Trudi Doyle. Pas que je l’avais oublié, loin de là, mais quand il survient, je préfère le chasser, maintenant que je dors la plupart du temps calmement, malgré des rêves parfois distordus ou que je n’explique pas.

Je n’ai jamais terminé le roman de Lewis Carroll. Et quand je rêve à des lapins, désormais, ils sont en chocolat.

s’inscrire

olga_k

il pleuvait sur un avril tranquille
ville de Hollande ou d’ailleurs
trains en partance
pour des horizons tendresse
printemps qui vacille
jour à venir
paisible espoir
du temps qui s’arrête
dans nos mémoires suspendues
océan aller-retour
s’inscrire

(Haarlem, avril 1985)

*sur une toile d’Olga Karadimos

Quand d’un livre jaillit l’horizon

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 19:37

brill 2

brill 2

Est-ce un lecteur? Est-ce une lectrice? L’un et l’autre? Peu importe que l’on sache ou pas. Ce que Thomas Brill a réussi à exprimer, c’est ce pan de ciel coloré qui s’ouvre à soi à la lecture de certains livres. Tous ces horizons qui nous étaient inconnus et qui deviennent plus beaux que tout alors qu’ils s’élèvent des livres et qui nous révèlent une part de nous-même parfois soupçonnée. Dans une phrase, un paragraphe, un chapitre. Dans ce livre qu’on nous a offert ou qu’on a tiré des rayons en se rappelant qu’on s’était promis de le lire il y a longtemps. Dans ce livre abandonné sur un banc et qui n’attendait que nous. Ces livres qui nous ouvrent l’univers.

Là où vont s’éteindre les derniers rayons du jour

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 19:26

aroz 1

Elle s’est assise là où vont s’éteindre les derniers rayons du jour, comme j’aime tant le faire. Peut-être pour prendre conscience d’une journée bien emplie du lever au coucher du soleil. Pour conserver en elle cette lumière dont elle ne peut se passer, elle qui a été si longtemps une fille de la nuit. S’endormant à l’heure où elle se couche aujourd’hui. Oui, il n’y a pas si longtemps encore. Peut-être parce que la lectrice de Maria Teresa Aroz Ibanez trouvait dans le silence de la nuit ce qu’elle trouve aujourd’hui dans la clarté. Parce que sa vie est plus lumineuse, plus heureuse. Et qu’elle a envie qu’elle ne soit qu’ainsi.

Benito le Basque troubadour

Filed under: Trois petites notes de musique — Lali @ 17:57

lextrundi

Ma curiosité pour tout ce qu’on appelle ethnique, que ce soit cuisine ou musique, me viendrait-elle tout droit de l’enfance, alors que j’ai eu cette chance que l’univers s’ouvre à moi? Tout comme mon amour pour l’Histoire? Au bout de la rue, je goûtais les plats polonais que nous préparait le père de Donna. De l’autre côté de la rue, le père de Guy nous racontait la fuite d’Algérie des Pieds Noirs. On apprenait le français à Louba, une Ukrainienne qui avait bien dix ans de plus que nous. Et il y avait aussi Lina, la belle Italienne, qui s’était mariée à seize ans dans une robe de conte de fées. Et Lilian, la Pakistanaise, qui a fait des études de médecine. Et nous vivions dans cet heureux mélange de cultures, heureux.

Et ça continuait à l’école. Le père de Rosalia avait fui la Hongrie de 1956. Et Soraya, ma meilleure amie, mon inséparable, était une Dominicaine qui vivait à New York, son grand-père ayant quitté l’Espagne de Franco dès son arrivée au pouvoir.

Et je vivais au milieu de ces petites histoires et de la grande. Et je vivais ainsi en goûtant des plats exotiques. Et tout ça était naturel. Je ne pensais pas qu’ailleurs, dans bien d’autres quartiers, moins nouveaux, on vivait autrement, en pointant du doigt l’étranger qui s’était installé là-bas, dans un petit logement, avec ses quatre enfants qui finiraient par mieux parler le français que tous.

À la maison, je dansais sur un disque de musique hawaïenne et je pouvais écouter non stop un disque de musiques du monde qui me ravissait, tandis qu’au cours de gymnastique, on nous apprenait les danses irlandaises. Et qu’à la télé, la pub de Coca-Cola disait : « Si je veux rencontrer à l’autre bout du monde un gars qui va m’emballer, je sais comment le trouver… »

Le monde était là, omniprésent. Je n’avais pas six ans que j’apprenais le nom des pays en même temps qu’à lire et à compter. Le monde était là et il m’attendait.

Plus tard, je verrais des pays. Plus tard, je lirais des écrivains de partout. Plus tard, je ferais le tour du monde en chansons. Curieuse. Immensément curieuse et jamais assouvie.

Si bien qu’il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un jour je découvre le Basque Benito Lertxundi. Et que j’aie un véritable coup de foudre. Hitaz Oroit est un album magique dont on ne peut retirer aucune chanson tant l’album fait un tout uniforme, et duquel il est même difficile d’en extraire une qui serait plus représentative que les autres.

Mais si je devais en choisir une, je crois que ce serait Iluna Denerako, une berceuse écrite et composée par Benito Lertxundi qu’il a traduite ainsi :

Une chanson sur mes lèvres,
Vénus vacille dans le ciel,
lorsque tu sombres dans le premier sommeil,
quel secret gardes-tu dans ton for intérieur?

Comme une goutte distillée,
tu es tombé dans cette vallée de la vie;
tu es notre peau
et l’incarnation de nouveaux desseins.

Il y a en moi un refuge
qui t’abritera lorsque la nuit sera tombée.
Tu seras la résine
pour le feu qui inonde nos cœurs.

Benito Lertxundi fera partie de mes incontournables pour toute cette nostalgie et cette douceur qui se dégagent de ses musiques et de ses poésies. Moments magiques. Vraiment.

Vivement le printemps!

Filed under: États d'âme,Couleurs et textures — Lali @ 17:12

mkm1

mkm2

mkm3

mkm4

Comme on se sent bien dans les toiles de Mary K. McDermott. Comme on aurait envie d’être chacune des lectrices pour pouvoir profiter des livres et de la douceur du printemps. Moi la première! Vivement que le printemps arrive pour que je puisse choisir l’une ou l’autre toile et m’y installer!

Un samedi rayonnant de bonheur

Filed under: États d'âme,Couleurs et textures — Lali @ 10:07

filosa 2

Elle s’est assise dans la lumière. Il y a eu tellement de journée de nuages lourds, de ciels gris, de noirceur avant l’heure dite, de matins qui ne semblent pas vouloir se lever, qu’elle ne peut être que là, dans la lumière. Pour que sa peau en soit imprégnée, pour que ses yeux s’illuminent, pour le livre s’éclaire, pour que sa journée soit radieuse.

Et comme je comprends la lectrice de Francesco Paolo Filosa. La même lumière est chez moi. Enfin. Après des jours de grisaille. Si bien que moi aussi, je la laisse se poser délicatement sur mes pages et sur ma nuque. Ce sera un samedi rayonnant de bonheur.

Un tout petit peu vrai

Filed under: Couleurs et textures — Lali @ 9:47

egw19

Il la regarde avec un air dubitatif. Parce qu’elle vient de lire ce qu’il vient d’écrire et que comme chaque fois, il voit ses yeux qui se mouillent et son cœur qui déborde de tendresse. Incertain de comprendre ce bouleversement en elle. Elle qui a pourtant lu tant de poètes et qui s’émerveille devant quelques rimes. Décidément. On aura tout vu.

Et il la regarde avec au fond des yeux un point d’interrogation. Elle doit se moquer de lui, ce n’est pas possible. Surtout elle qui connaît la poésie. Et pourtant non, affirme-t-elle. Et il la regarde encore. On peut pourtant lire jusque dans le blanc de ses yeux gris.

Il est évident qu’elle dit vrai, même si le poète d’Elizabeth Gordon Werner n’est pas sûr, lui, d’être vraiment un poète. Car il a tellement peur de prétendre être ce qu’il n’est pas. Alors, il ne dit rien. C’est elle qui prétend qu’il est un poète. Et elle semble tellement le croire que c’est peut-être un peu vrai. Un tout petit peu vrai.

Page suivante »