
Il aimait tant les mots. Les lire, comme les écrire. Et nous passions des heures à parler des mots. Ceux de Prévert et de tant d’autres poètes.
Il aimait tant les mots que j’ai imaginé que cet amour ne pourrait jamais être mis de côté. D’autant plus que sa muse aimait aussi ses mots, qu’elle ne pouvait se passer d’eux.
Il aimait tant les mots. Peut-être trop. La muse leur en a voulu. Il passait trop de temps avec eux et pas assez avec elle.
Puis il a abandonné les mots pour se consacrer essentiellement à sa muse. Pour la rendre heureuse. Pour qu’elle ne soit pas jalouse. Pour qu’elle ne tremble plus de peur quand il ouvrait un livre ou qu’il sortait sa plume.
Et petit à petit, la muse l’a aimé de moins en moins. Il n’était plus le poète des jours d’ivresse. Celui qu’elle avait tué à coups de scènes. Sans saisir la portée de ses esclandres. Sans une minute penser, avec sa jeunesse pour toute plaidoirie, qu’elle était pour quelque chose dans ce qui arrivait.
Et s’il aimait toujours les mots, il devait désormais les aimer en secret quand elle dormait.
Combien de temps encore se laissera-t-il mourir à petit feu? Nul ne le sait. Et la seule chose que je sache, c’est que je serai là quand il aura envie de me faire lire ses mots. Un jour ou l’autre. Demain ou dans dix ans.
*sur une toile de Paul Albert Besnard