Lali

24 septembre 2010

Avec Desnos 2

Filed under: À livres ouverts,Couleurs et textures — Lali @ 23:59

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C’est la lectrice peinte par Anna Claypoole Peale qui a parcouru ce soir Corps et biens du poète de Robert Desnos. Non sans émotion, surtout quand elle a lu ces lignes :

Si tu savais

Loin de moi et sensible aux étoiles, à la mer et à tous les accessoires de la mythologie poétique,
Loin de moi et cependant présente à ton insu,
Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t’imagine sans cesse,
Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir.
Si tu savais.
Loin de moi et peut-être davantage de m’ignorer et m’ignorer encore.
Loin de moi parce que tu ne m’aimes pas sans doute ou, ce qui revient au même, que j’en doute.
Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés.
Loin de moi parce que tu es cruelle.
Si tu savais.
Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans la rivière au bout de sa tige aquatique, ô triste comme sept heures du soir dans les champignonnières.
Loin de moi silencieuse encore ainsi qu’en ma présence et joyeuse encore comme l’heure en forme de cigogne qui tombe de haut.
Loin de moi à l’instant où chantent les alambics, à l’instant où la mer silencieuse et bruyante se replie sur les oreillers blancs.
Si tu savais.
Loin de moi, ô mon présent présent tourment, loin de moi au bruit magnifique des coquilles d’huîtres qui se brisent sous le pas du noctambule, au petit jour, quand il passe devant la porte des restaurants.
Si tu savais.
Loin de moi, volontaire et matériel mirage.
Loin de moi, c’est une île qui se détourne au passage des navires.
Loin de moi un calme troupeau de bœufs se trompe de chemin, s’arrête obstinément au bord d’un profond précipice, loin de moi, ô cruelle.
Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète. Il met vivement le bouchon et dès lors il guette l’étoile enclose dans le verre, il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi, tu es loin de moi.
Si tu savais.
Loin de moi une maison achève d’être construite.
Un maçon en blouse blanche au sommet de l’échafaudage chante une petite chanson très triste et, soudain dans le récipient empli de mortier apparaît le futur de la maison : les baisers des amants et les suicides à deux et la nudité dans la chambre des belles inconnues et leurs rêves à minuit, et les secrets voluptueux surpris par les lames de parquet.
Loin de moi,
Si tu savais.
Si tu savais comme je t’aime et, bien que tu ne m’aimes pas, comme je suis joyeux, comme je suis robuste et fier de sortir avec ton image en tête, de sortir de l’univers.
Comme je suis joyeux à en mourir.
Si tu savais comme le monde m’est soumis.
Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière.
Ô toi, loin-de-moi, à qui je suis soumis.
Si tu savais.

3 commentaires »

  1. page 95 – NRF – Poésie / Gallimard
    J’ai repris mon vieux recueil édition 12/11/1975, et j’ai vu que je l’avais annoté déjà parmi tant d’autres.
    Merci, ainsi j’ai repris contact avec ces textes…

    Comment by LOU — 25 septembre 2010 @ 8:27

  2. Tiens LOU a repris contact avec les textes… elle va aussi reprendre contact avec le bleu?… suspense hitchcockien… hum je veux voir la suite…

    Comment by Pépé de l'Algarve — 25 septembre 2010 @ 12:53

  3. C’est superbe. J’ai lu ce très beau poème avec beaucoup d’émotions.

    Comment by Denise — 26 septembre 2010 @ 5:20

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