Quand le scandale arrive
Je n’avais pas envie de terminer le roman d’Armel Job. Je voulais encore rester dans l’après-guerre des Ardennes, dans ce petit village où chacun sait et se tait. Qu’il s’agisse du curé, du charcutier ou du peintre. Car chacun des protagonistes du roman possède les clés de l’énigme et une part d’un secret qui date des années de résistance.
Et si José, peintre réputé, venu se cacher pendant la guerre, n’avait pas été subjugué par la beauté de la jeune Thérèse jusqu’à la peindre nue, d’où le titre du roman, rien ne serait arrivé. Rocafrène aurait coulé des jours tranquilles. Mais il a fallu que José peigne Thérèse, que le tableau se retrouve dans une vitrine de Liège et que qu’un article avec la photo du tableau se retrouve dans toutes les maisons du village.
Il n’en fallait pas plus pour que chaque personnage se trouve impliqué d’une façon ou d’une autre dans le drame. Il n’en fallait pas plus pour que les langues commentent le comportement de Thérèse. Il n’en fallait pas plus pour que José passe pour un salaud, alors qu’il n’avait voulu qu’exprimer la beauté de l’âme de Thérèse. Ainsi tente-t-elle d’exprimer à Libert, son amoureux, pourquoi après avoir posé pour un chaste tableau, elle a posé à nouveau : « Tu n’as jamais eu les genoux, les bras, le ventre qui rient ? Monsieur José m’a expliqué qu’on a son âme sur toute la surface de son corps. Et tu vois, dans ce moment-là, personne ne m’a dit quelque chose de si juste, de si vrai, sur ce qui m’arrivait. C’est pour cela que j’ai accepté de recommencer à poser. »
Thérèse a seize ans. Elle a encore ce regard étonné que les autres ont perdu, la générosité du cœur qui n’a pas encore été trahi. Et c’est cela que José a vu. C’est cela qu’il a peint. Mais chacun a voulu voir autre chose, chacun a fabulé, chacun a imaginé une histoire qui n’est pas celle-là.
Le roman d’Armel Job est une toile. Il ne pouvait que porter le titre du tableau de José Cohen. L’écrivain et le peintre, ici, ont un même dessein: montrer l’âme. Mission accomplie.