Les mémoires d’Irene
Irene Opdike ne pourra jamais oublier qu’un jour elle a assisté à la plus terrible des scènes : celle d’un soldat lançant dans les airs ce qu’elle avait pris pour un oiseau avant de lui tirer dessus. Au sol, des langes ensanglantés. C’était un nourrisson.
Et à cause de cette scène et parce que vint une époque où on a mis en doute les arrestations massives, les pillages, les camps, les crématoires, il lui a fallu témoigner. Pour que ne se perdent pas ces souvenirs douloureux avec lesquels elle a vécu pendant quarante ans. Ces souvenirs de jeune fille de 17 ans, étudiante infirmière dans une Pologne envahie où elle a été violée par des soldats russes, de celle qui, pendant six ans, changea d’identité, de ville, de métier pour survivre. Toujours en fuite.
Irene Opdyke a pris des risques, elle n’a fait que ça, tout en sachant que ceux-ci pouvaient lui coûter la vie. Et c’est ainsi qu’elle a sauvé douze personnes en les cachant dans la cave du militaire allemand à qui elle servait de gouvernante et en aidant ceux à qui elle avait permis d’échapper en les emmenant dans la forêt et qu’elle approvisionnait du mieux qu’elle pouvait.
Si elle est encore en vie aujourd’hui pour témoigner de tout ceci, c’est presque un miracle. Elle qui, à la fin de la guerre, n’avait plus de patrie, la Pologne ayant été presque rasée de la carte, elle qui avait connu l’amour dans la résistance et qui avait vu son fiancé mourir la veille de leur mariage, elle qui ne savait plus où étaient les siens et qui a été arrêtée en les cherchant, elle qui a été sur tous les fronts, qu’on a violée, battue, enfermée, mais aussi aidée, a choisi de dire, de se dire, de ne rien taire de la monstruosité de cette guerre et de ceux qui l’ont faite. Et le témoignage émouvant et courageux que nous livre celle à qui Yad Vashem a décerné le titre de « Juste parmi les nations » vous bouleversera, j’en suis convaincue.