Le défi
Elle voudrait bien leur faire aimer la poésie, leur faire aimer les écrivains, leur faire aimer l’art en général. Mais elle sait que ce ne sera pas facile et que ce n’est pas gagné. Bien sûr, Édouard, au premier rang, boira ses paroles. Elle le soupçonne d’ailleurs d’être un peu amoureux d’elle. Bien évidemment, Anne-Catherine la harcèlera de questions. Et sûrement que James , Ludivine et Estelle écriront tout ce qu’elle dit dans leurs cahiers.
Mais tout ça, c’est du tout cuit. Du trop facile. La professeure de français, du peintre Umberto Boccioni qui dans une lettre à un ami avait écrit que Tout le reste, en comparaison avec l’art, n’est que mesquinerie, routine, patience et souvenirs…, voudrait plutôt conquérir les trois gaillards qui font la garde au fond de la classe. Ces impassibles revenus de tout. Elle a choisi ceux-là pour défi. Sans savoir si elle sera en mesure de le relever. Mais avec la ferme intention de tenter le coup. Avec Hugo. Hugo et ce poème, précisément :
Il faut que le poète
Il faut que le poète, épris d’ombre et d’azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains moments.
Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre,
Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l’âme à chaque pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l’on entend couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu’on voie
Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant !
Il faut que le poète aux semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du rayon,
Charmantes, où soudain l’on rencontre un lion.
J’espère que pour cette professeure de français dont son choix s’est porté sur ce magnifique poème de Victor Hugo, aura su retenir l’attention et l’envie de progresser à ces trois gaillards du fond de la classe ! Le plus beau cadeau qu’ils pourraient faire à leur professeure, serait de lui dédier un très beau poème pour sa patience. Quelle belle récompense et le défi serait relevé.
Comment by Denise — 6 février 2008 @ 9:11
…auquel elle ajoutera celui-ci :
Un poète
Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j’entraîne avec moi plus d’un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d’en sortir même pour un moment ?
J’entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pèle-mêle, les passagers et les marins,
Et j’éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs.
Jules Supervielle (1884-1960)Les amis inconnus
Parce que ces gaillards se diront : « Tiens ! Il nous ressemble un peu celui-là… » Je ne suis même pas sûre qu’ils verront au premier coup d’oeil les alexandrins qui agiront comme par magie ! Magie de la poésie, bien sûr !
Comment by Reine — 6 février 2008 @ 14:26
Ce billet t’était dédié, Reine…
Je suis contente que tu l’aies vu et que tu aies ajouté ta touche personnelle!
Comment by Lali — 6 février 2008 @ 14:41
J’avais cru comprendre !
Comment by Reine — 6 février 2008 @ 15:08