En vos mots 895
Maintenant que les textes déposés sur l’illustration de dimanche dernier sont validés, je vous propose de faire vivre en vos mots cette illustration signée Elisa Sartori.
Comme le veut l’habitude, aucun commentaire ne sera visible avant dimanche prochain. Vous avez donc plus que le temps d’écrire quelques lignes.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Lisboa, 23 juin 2024
Ma chère B.,
J’aime les nuits courtes et fragiles qui viennent avec des gestes furtifs nous indiquer l’espoir.
Je suis persuadé qu’écrire est comme regarder les mots s’envoler vers un ailleurs inconnu, tels des oiseaux silencieux, dans le ciel de nos vies. Personne ne sait jamais où ils vont échouer. On ne sait jamais dans quel regard, dans quel cœur meurtri ou amoureux ils iront faire leur nid. On ne sait jamais tous ceux qui lisent dans nos mots ce que nous n’avons pas écrit et qui pourtant leur semble tellement évident qu’ils deviennent le miroir de leurs souvenirs. Puisque dans leurs histoires il y a un peu des autres.
Il me semble que pour mieux supporter nos vies nous faisons semblant d’ignorer à quel point elles sont fragiles. Tellement fragiles. Comme le coquelicot rouge sang, perdu dans l’immensité des champs. Si beau, si seul et si éphémère.
Nous avons perdu notre courage d’enfant. Ce pas vacillant et imprudent vers l’autre. S’éblouir de la poignée de sable fin qui s’échappe entre nos doigts et qu’un souffle léger de la fin d’un jour vient dissiper, pour ne garder que le souvenir de l’instant. Pour plus tard.
Quand viendra le temps où on déplorera tout ce que nous avons perdu quand ceux qu’on aime nous laisseront, on devrait plutôt se réjouir de tant de tendresses gardées jalousement dans la poussière de nos mémoires. Tous ces instants de bonheur sans lesquels nous ne serions jamais devenus ce que nous sommes. Et nous dire que de l’avoir aimé et l’avoir perdu est moins douloureux que l’immuable douleur de ceux qui ne l’ont jamais connu.
Peut-être qu’un jour, on se dira tout cela en nous regardant dans les yeux. Sans mots. Juste ta main dans la mienne et nos silences. Pour effacer sans regrets nos années perdues. Combler le vide. L’absence. Ce manque de ne pas avoir appris à dire je t’aime, quand l’enfance légitimait encore tous nos mots et nos sentiments.
Après on grandit. On s’éloigne. On s’égare. On se blessure. On devient chagrins et solitudes.
Heureusement que, comme Marie Uguay, j’aime les nuits courtes et fragiles qui viennent avec des gestes furtifs nous indiquer l’espoir.
Je t’embrasse.
Armando
Comment by Armando — 21 juin 2024 @ 3:59
Stella a vraiment beaucoup de chance. Dans le parc situé tout près de chez elle, la serre est en toutes saisons débordante de plantes magnifiques. Depuis les années qu’elle en est familière, elle en connaît les moindres recoins. Et bien que gardant intact leur mystère, les noms de chaque espèce n’ont plus de secret pour elle. Leurs particularités, leurs propriétés, leurs variantes: elle les sait sur le bout des ongles. Elle savoure leurs provenances, parfois lointaines, et s’y transporte avec délice en un claquement de doigts. Elle leur parle. Et elle perçoit leurs réponses. Elle hume leurs parfums, forts ou délicats. Depuis le bourgeon jusqu’au fruit, elle suit avec passion leur croissance.
Parfois, elle vient accompagnée. Car elle aime faire découvrir aux autres ce qu’elle aime. Mais souvent elle vient seule dans cet environnement végétal, sous la coupole ouvragée, où la lumière se réverbère sur le livre ouvert qu’elle ne manque jamais d’apporter. Et sur son visage.
Les poèmes s’harmonisent particulièrement avec cet endroit. Ici, jamais de livres politiques, ni historiques, ésotériques, ou même scientifiques. Pas de romans. Seulement des vers, ou de la prose poétique. De la poésie. Stella elle-même parfois en écrit. Tellement inspirée par l’ambiance qui règne dans ce prestigieux habitacle de verre et de métal. A cet effet, elle emporte toujours le précieux carnet rouge dont elle se sépare rarement. Et régulièrement, elle relit ses écrits. Quelquefois à haute voix, si elle n’est pas gênée par d’autres visiteurs.
Elle y chante aussi, si elle n’est pas dérangée. Et même elle ose muser parmi la foule, improvisant des airs à sa guise. Inventant des mots qu’elle offre aux fleurs, aux feuilles, aux arbres qui tendent leurs branches pour mieux capter la vibration. Elle offre son chant au monde, et elle s’en fait en même temps cadeau à elle-même.
C’est ici comme sa deuxième maison. Et ne serait-ce pas d’ailleurs plutôt la première? Celle où dans l’atmosphère chaude des limbes, parmi le ruissellement des eaux primordiales, elle serait née, et renaîtrait un peu plus chaque jour? Oui, Stella a vraiment beaucoup de chance d’habiter à proximité de ces lieux. Et sa gratitude est grande, d’avoir été guidée par ses pas vers ce quotidien merveilleux.
Comment by anémone — 22 juin 2024 @ 4:14