En vos mots 861
Déjà un autre dimanche! Et qui dit dimanche au pays de Lali dit un nouvel En vos mots. La lectrice de l’artiste Emma Ryan s’est donc installée parmi nous pour la semaine afin que vous puissiez l’examiner sous tous les angles et faire connaissance avec elle.
C’est avec plaisir que nous lirons les textes, en prose ou en vers, qu’elle aura inspirés et que vous aurez déposés au cours de la semaine, car aucun commentaire ne sera approuvé dimanche prochain.
Profitez-en pour lire les textes suscités par la scène livresque de dimanche dernier, et même à les commenter si vous le souhaitez.
Rendez-vous dans une semaine pour la suite!
Je vous parle d’un temps où les enfants naissaient, à l’aube, dans les roses. Ou ailleurs. Selon la fantaisie des anciens. Et j’y ai longtemps cru. Aant de découvrir que c’étaient les cigognes, qui venaient de très loin apporter les bébés.
Ce jour-là, j’ai su que les grandes personnes ne disaient jamais la vérité. Sauf Mademoiselle Gertrude. Celle qui, avec sa voix douce et envoûtante, m’a raconté ma première histoire d’enfant. La rose bleue.
Et j’ai longtemps rêvé de ce pays lointain, où une princesse triste attendait l’amour. Elle possédait déjà toutes les richesses dont on pouvait rêver. Dans son jardin, il y avait toutes les fleurs que l’abondance du monde pouvait lui offrir. Il lui manquait cependant une rose. Bleue. Il y avait des roses jaunes, blanches, rouges, mais pas de rose bleue… Alors elle a fait la promesse d’épouser celui qui lui apporterait une rose bleue.
Le roi, empressé de marier sa fille, a ordonné qu’on apporte la bonne nouvelle à tous les riches et jeunes chevaliers de bonne lignée du royaume. Et de toutes parts sont venus les riches chevaliers. Avec des diamants, de l’ or et des promesses de bonheur. Mais pas de rose bleue.
Un jour, lorsqu’elle se promenait en forêt, son regard croisa celui d’un jeune poète sans autres richesses que le verbe et ses rêve, et elle lui demanda s’il savait où elle pouvait trouver une rose bleue. Le jeune poète lui répondit en souriant que des roses bleus, on peut les trouver partout et que, si tel était son désir, le lendemain il pourrait lui en apporter une.
Ainsi, le lendemain, le jeune homme se présenta aux portes du château avec une rose crème, prétendant qu’il avait rendez-vous avec la princesse.
– Mais votre rose est crème et pas bleue, lui a fait remarque le soldat de garde.
– Pas de tout, lui répondit le jeune poète, je vous assure que ma rose est bel et bien bleue.
Le roi lui-même s’apercevant du bruit est venu voir ce qui se passait. Et alors, il a ri de dédain.
– Mon pauvre garçon, la princesse s’est promise à celui qui lui apporterait une rose bleue et votre rose n’a rien de bleue.
– Si, si, mon bien aimé roi. Ma rose est bleue. Je suis poète, mais je ne suis pas fou..
C’est alors qu’à la fenêtre on entendit la princesse crier : « Oh qu’elle est belle cette rose bleue. »
Le roi, perplexe, lui dit : « Mais ma fille, cette rose n’a rien de bleu. »
Et la princesse insista : × Si père, elle est bleue. Tu ne la vois pas bleue, mais elle est d’un magnifique bleue ciel. Et je dois honorer ma promesse. »
C’est ainsi que la princesse et le poète se sont mariés. Et on raconte qu’il n’y a jamais eu de princesse aussi heureuse toute sa vie durant.
Avec les années, chaque fois que je passais devant la botiqur d’un fleuriste, je me souvenais tendrement de Mademoiselle Gertrude et de son histoire de la rose bleue. Et je souriais, quelque peu amusé de ce joli souvenir d’enfance.
Puis, un jour, au hasard de mes insomnies, j’ai croisé le chemin de Saint-Exupéry et j’ai appris qu’on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.
Depuis, chaque premier dimanche du mois, je rends visite à Mademoiselle Gertrude. Et je dépose sur sa tombe une rose. Bleue.
Comment by Armando — 23 octobre 2023 @ 8:07
S’il est vrai que le silence est d’or, ce jour-là nous sommes tous devenus un peu plus riches. Ce qui semblait être une simple pause de lecture est devenu un silence. Un si long silence.
Suspendus à un temps qui n’ose pas bouger, on attendait tous la suite. Anna, tête basse, semblait implorer dans son intérieur ce qui lui manquait de forces pour poursuivre la lecture du poème de Martine Audet. Elle qui avait si bien commencé :
Il nous semblait parfois que nous avions aimé,
Que nos bras déployés,
Du seul trait des corneilles…
Avant de s’arrêter d’un coup. Comme si son cœur avait cesssé de battre. Elle avait de la peine à reprendre vie.
Puis, alors que le silence s’éternisait, on a entendu la voix frêle de Monica :
… aspiraient le vent,
ses rasades solaires ou liquides,
ses insultes aussi.
Pour quel espoir?
Quelle vérité enfouie
En nos seules présences?
Anna a alors levé les yeux, brillants de souvenirs passés, et a trouvé la force de poursuivre :
Nous répétions que nous n’existions pas.
Nos fronts brûlaient un peu.
Et puis, à nouveau un long silence. Jusqu’au plus profond de nos regards. Un de ces rares silences qu’on écoute, comme une brise légère venue d’ailleurs et qui nous secoue l’âme. Pour longtemps.
Comment by A. — 27 octobre 2023 @ 13:12
Elle a choisi cette bibliothèque pour ses couleurs. Tout y est absolument coloré: les rayonnages aubergine, les tables et chaises vertes, jaunes, bleues, rouges. Et tous ces livres, dont les jaquettes rassemblées figurent un permanent et lumineux arc-en-ciel! Quel que soit le livre qu’elle y ouvre, il est toujours comme par magie une réponse à ses questionnements. Elle-même ne porte que peu de couleurs, et jamais de couleurs vives. Bien que ses cheveux soient devenus ternes, elle ne se résout pas à les colorer. Ce n’est pas comme son amie Inès, dont resplendit en toute saison la magnifique chevelure auburn, et qui arbore en toute période de l’année de longues jupes bariolées et des foulards chamarrés où dominent l’orange, l’émeraude, le doré. Ces teintes audacieuses, sur son amie et partout dans la bibliothèque, compensent étrangement ce qu’elle n’ose pour elle-même. Comme si les contempler lui apportait un reflet de la joie qu’elle se refuse de vibrer, sans en être consciente.
Comment by anémone — 29 octobre 2023 @ 7:14