En vos mots 856
Alors que je viens à l’instant de valider les textes déposés sur la toile de dimanche dernier, que je vous invite d’ailleurs à lire, j’ai choisi pour vous cette scène livresque signée Joost Swarte, bédéiste et illustrateur néerlandais, afin que vous la fassiez vivre en vos mots.
Aucun commentaire ne sera validé avant dimanche prochain, comme le veut l’habitude. Vous avez donc amplement le temps d’examiner cette illustration sous toutes les coutures avant d’écrire quelques lignes.
D’ici là, bon dimanche et bonne semaine à tous les envosmotistes et à celles et ceux qui les lisent.
Depuis que j’ai la mémoire des choses que j’entends parler de lui. Grosmollard. Les anciens ne se sont jamais lassés de raconter des anecdotes à propos de lui. Comme si son souvenir ne se résumait qu’à des moqueries d’une enfance passée au village qu’il a fui à dix-huit ans pour intégrer l’armée et ne plus jamais revenir. Sans que personne ne s’inquiète de cela.
Pour moi, c’était un songe. Une énigme. J’imaginais sa différence. Son mal-être. Sa solitude. Sa souffrance. Il a dû partir le cœur gros de chagrin et d’amertume. Pour ne plus donner le moindre signe de vie.
Un jour j’ai entamé des recherches. Internet peut être un allié précieux si on l’utilise avec l’acharnement minutieux d’un chercheur de trésors. De forum en blogue, mes recherches ont fini pour aboutir. Grosmollard s’appelait autrement. Grosmollard était une bassesse. Drôle paraît-il.
Nous avons échangé quelques messages, avant d’avant que je ne gagne sa confiance. J’ai appris sa différence. Son originalité. Sa solitude. Qui ont fait naître tant de moqueries et le sentiment marginal de n’appartenir à aucune tendresse. Être un sans famille.
Nous avons banni tous les préjugés et il a fini par accepter de venir passer quelques jours chez nous, à la campagne. Là où je vivais, depuis des années, retiré de la vanité de la ville et ces gens toujours pressés, qui ne regardent jamais personne dans les yeux quand ils parlent. Ma voisine, ophtalmologue, avait les yeux gris-vert clair. Elle n’a jamais su dire la couleur des miens.
Avant son grand départ, tonton m’avait demandé ce qu’il fallait qu’il emporte pour son séjour à la campagne. Je lui ai dit que nous avions tout ce qui pouvait faire le bonheur de tout être humain civilisé. Il ne devrait s’encombrer de rien. Juste de l’essentiel.
Lorsque de loin je l’ai vu arriver avec sa remorque bibliothèque et une liasse de livres attachés au toit de sa voiture, j’ai souri. Il était plus que certain que nous allions devenir de bons amis. Nous avions déjà la même idée de l’essentiel.
Comment by Armando — 19 septembre 2023 @ 4:32
C’était en plein été. Sous un soleil de plomb. Des milliers de véhicules se pressaient, tous différents, sur la route des vacances. Des caravanes, des mobil homes, des camionnettes tant bien que mal aménagées. Des voitures neuves, rutilantes. D’autres plus modestes, parfois un peu sales, parfois un peu cabossées. Mais toutes en chemin, en progression vers le bonheur, vers la terre promise du repos et de l’enchantement.
Et là, soudain, toutes étaient vraiment pareilles. Logées à la même enseigne. Soumises à la même règle: rouler au pas. Au ralenti. Presque à l’arrêt. Puis immobilisées, carrément, dans cette chaleur écrasante. Prétendre que ces véhicules se pressaient est donc en réalité tout à fait incorrect. Ils se retrouvaient plutôt pressés. Leurs occupants ruisselant et suintant comme des fruits trop mûrs, comprimés dans leurs empaquetages inconfortables devenus inadéquats. Totalement compressés. Oppressés. Et pressés, impuissants, d’arriver à destination. Sans pouvoir rien changer à leur situation incommode. Captifs du trafic, séquestrés dans leurs habitacles devenus trop étroits et irrespirables. Sans possibilité de progresser, ni de retour en arrière.
Tous les passagers et conducteurs ne réagissent cependant pas de même. Les uns pestent, d’autres mangent, certains font les deux à la fois. D’autres encore jouent, lisent. Inventent des histoires. Se réjouissent même quelquefois de cette plage de temps devant eux, offerte à des ressources inopinées. Le jour du départ n’est-il pas un des plus beaux des vacances? C’est en tout cas ce que considérait mon père. Quand tout est encore possible, que tout ce temps de villégiature est encore devant nous. Il est vrai que nous voyagions en train! Et le voilà magiquement allongé, ce temps de genèse! Ceux-là, qui se réjouissent, sont bien souvent des amoureux de l’écrit et des livres. Ils ont d’ailleurs en général toujours avec eux toute une bibliothèque. Bien arrimée, même si elle n’est pas dans leurs bagages, bien pliée dans le coffre ou sur le toit de la voiture. Bien arrimée en eux. Dans tout leur être. Et dans leur coeur.
Comment by anémone — 20 septembre 2023 @ 4:44
On s’amusait des vagues et de nos châteaux de sable bancals. Puis, plus rien. À la tombée du jour, on rentrait. En sachant déjà que le lendemain on allait s’amuser des vagues et de nos châteaux bancals que les vagues venaient engloutir.
Nous étions plus d’une centaine èa nous ennuyer toute la journée sur le sable blanc. Ainsi se déroulaient nos vacances d’été.
Puis un jour, un gars bizarre est arrivé, avec des bouquins par centaines qu’il a tenu à nous distribuer.
Et Buffalo Bill. Et Jean Valjean. Et le comte de Monte-Cristo. Et Zorro. Et Amy Carmichael. Et Corrie Ten Boom. Et Robinson seul sur son île.
On s’amusait des vagues et nos châteaux cachaient le comte de Monte-Cristo. Marc se prenait pour Valjean, Sophie se disait Zorro et moi je me prenais pour Buffalo Bill.
On dessinait des châteaux dans les nuages et on s’amusait des vagues. Heureux d’être des héros d’histoires nouvelles qu’on partageait en changent un peu les récits.
Et en rentrait le soir en regardant à l’horizon. En se disant que dans l’immensité de la mer, quelque part, Robinson sur son île attendait notre visite. Demain peut-être…
Comment by Pépé de Lisbonne — 21 septembre 2023 @ 7:07